Commentaires de film écritspar Chris Marker
- Les hommes de la baleine / Mario Ruspoli
- Django Reinhardt / Paul Paviot
- Le mystère de l'atelier quinze / Alain Resnais et André Heinrich
- Des hommes dans le ciel / Jean-Jacques Languepin et André Suire
- Le siècle à soif / Raymond Vogel
- La mer et les jours / Raymond Vogel et Alain Kaminker
- Le vivarium / Gérald Calderon
- L'Amérique insolite / François Reichenbach
- ... à Valparaiso / Joris Ivens
- Le volcan interdit / Haroun Tazieff
- Kashima Paradise / Yann Le Masson et Benie Deswarte
- La spirale / Armand Mattelart, Jacqueline Meppiel, Valérie Mayoux
En dehors de la réalisation, l'écriture des commentaires, soit les textes dit en voix off par un narrateur, est l'une des activités principales de Chris Marker dans le domaine du cinéma.
Les films sont proposés ici dans l'ordre chronologique, mêlant indifféremment longs métrages et courts métrages.
Les hommes de la baleine / Mario Ruspoli
1956 - France - 28' - 16 mm - Couleur
En 1955, Mario Ruspoli, publiait À la recherche du cachalot aux Éditions de Paris. Nous avons écrit auparavant que ce livre était le fruit du tournage des Hommes de la baleine. Or, c'est l'inverse qui s'est produit, comme le prouve deux extraits radiophoniques sortis de l'ombre par l'INA (voir ci-dessous). Le 7 décembre 1956, Simone Dubreuilh interview Mario Ruspoli qui revient sur les origines de son film, à savoir la découverte de l'existence de pêcheurs traditionnels au cachalot aux Açores. Mais c'est surtout à travers l'émission "Le masque et la plume", présentée par Michel Polac, que Ruspoli explique comment son livre sur le cachalot lui a permis d'obtenir un crédit de 2'000'000 d'anciens francs du richissime armateur Aristote Onassis, de manière, il est vrai fort cocasse.
Pour le reste, la meilleure description des Hommes de la baleine vient de son ami et producteur Anatole Dauman. Dans son ouvrage Souvenir Ecran (1989), Dauman écrit:
"Je revois, en plein pays de Vaud, il y a cinquante ans, un chalet de montagne, dont la population adolescente et cosmopolite était proche des ombres qui traversent le pensionnat décrit par Valéry Larbaud dans Fermina Marquez. Avec mon condisciple Mario, nous faisions nos classes à Montjoie, davantage exposés à l'ivresse des neiges qu'aux charmes de l'étude. Déjà, son esprit inventif perçait sous la faconde qui le détachait de notre lot. Mario entretiendrait toute sa vie une profonde familiarité avec les mythes et il ensorcellerait son auditoire par ses dons de conteur.
Un jour, dans les années cinquante, on m'invite à voir chez Colette de Jouvenel le premier film de Mario Ruspoli, un document sur la chasse à la baleine pratiquée par les derniers harponneurs des Açores. C'est ainsi qu'au milieu d'une assistance assez nombreuse je retrouvai Mario qui m'embrasse d'un large sourire. Sur le moment, cette projection ne me fit aucune impression véritable. Je devais être fatigué, car je me souviens seulement de m'être endormi sur l'épaule puissante de ma voisine, Célia Bertin, qui venait d'écrire un roman à succès, couronné par le prix Fémina, Une femme heureuse [en fait La Dernière innocence qui reçut le prix Renaudot en 1953]. Aussi ai-je dû exprimer le souhait de revoir Les Hommes de la baleine lorsque Mario m'a demandé, à la fin de la soirée, si j'étais d'accord pour tirer de ce film-conférence, d'une heure et demie en 16 mm, un court métrage de trente minutes destiné aux salles de cinéma. [...]
Dans son atelier, Mario avait tendu un grand drap blanc en guise d'écran, sur lequel, soudain, des cachalots se sont agités. Le film témoignait d'une bienheureuse collaboration entre Mario et son équipe son et image, composée de Dolorès, sa compagne, et d'un médecin amateur de baleines. À la fin de la projection, mon ami Azar se déclara bouleversé: "Je n'ai jamais rien vu d'aussi fort depuis les images d'Eisenstein sur un accouchement".1 Je ne connaissais pas malheureusement cette partie de l'oeuvre d'Eisenstein, mais je n'en étais pas moins vivement impressionné."
Tandis que Mario se trouvait à l'étranger dans l'exercice de ses fonctions de "tourneur" pour Connaissance du monde, Henri Colpi montait le court métrage tiré du film-conférence et Marker en écrivait le commentaire. À son retour, Mario trouva un film achevé, dont l'inspiration ne lui semblait pas entièrement correspondre à la sienne. Il est vrai que Colpi et Marker avaient quelque peu ajouté à l'oeuvre première. Mais Mario, bon prince, s'en montra par la suite satisfait, la critique ayant applaudi à cette collaboration.
Avant de produire Les hommes de la baleine, j'avais dû conclure un accord avec l'armateur Aristote Onassis qui, par un prêt de deux millions de francs, avait favorisé toute cette aventure. Lorsque je vins rembourser la créance au secrétaire du potentat, je fus très surpris de l'entendre dire: "Deux millions, plus les intérêts!" J'acquittai sans sourciller et je devins ainsi l'associé de Mario pour entraîner Les hommes de la baleine dans une vaste carrière autour du monde. À Paris, au cinéma Le Bonaparte, où j'avais réuni une brillante assistance pour une avant-première comprenant également Lettre de Sibérie de Chris Marker, les critiques furent unanimement favorables. Je me souviens en particulier, de huit pages publiées dans Paris-Match sous le titre: "La Corrida de la mer" [en réalité "La Mort du cachalot", récit de Pierre Joffroy, p. 50-61].2
Interview de Mario Ruspoli, par Simone Dubreuilh,
le 07 décembre 1956
Interview de Mario Ruspoli, par Michel Polac,
le 1er janvier 1964, dans l'émission "Le masque et les plumes"
Mario Ruspoli co-réalisera en 1972 un autre film sur les baleines avec Chris Marker. Intitulé Vive la baleine. Ce court métrage de 30 minutes s'attachera à l'évolution de la chasse à la baleine, du moyen de survie à l'exploitation industrielle.
Un coffret DVD sur Mario Ruspoli, sorti en 2016 chez Argos Films / Tamasa, propose les deux films, ainsi qu'un excellent documentaire sur Ruspoli réalisé par Florence Dauman, intitulé Mario Ruspoli, prince des baleines et autres raretés.
On trouve également deux disques EP originaux des chants traditionnels des pêcheurs à la baleine des Açores, enregistrés lors de ce tournage, édités dans les années 1950 (voir sur ce site, la section "Musique").
Au dos de la première pochette du EP 4 titres intitulé Açores. Chants des baleiniers portugais, on trouve le texte suivant:
"Enregistré par Gilbert Rouget, dans l'île de Fayal, au cours du tournage du film Les hommes de la baleine de Mario Ruspoli.
Les baleiniers açoriens sont maintenant les derniers à chasser comme aux temps héroïques de Moby Dick, poursuivant le cachalot à bord de frêles canots à voiles et le harponnant à la main. Les duretés de l'existence, les drames et parfois les tragédies de la chasse forment l'un des principaux thèmes des récits qu'ils composent eux-mêmes et qu'ils chantent pendant les longs moments d'inaction que le métier leur laisse.
Face 1, n° 1: La mort du harponneur relate un accident survenu il y a une dizaine d'années, un quinze août, dans des circonstances bien faites pour frapper l'imagination populaire. Un harponneur, qui par malchance avait plusieurs fois de suite manqué son but, avait du reprendre, parmi son équipage, la place d'un simple matelot. José Patata, chef d'un autre canot, qui avait pour lui de l'amitié et lui gardait sa confiance, lui offrit de le prendre à son bord comme harponneur. Dès lors la chance sembla tourner. Six fois, au cours de six poursuites différentes la bête fut atteinte du premier coup. La septième fois, le cachalot se retourna contre l'embarcation et d'un coup de queue tua le harponneur qui vint mourir dans les bras de José Patata. Ce chant fut enregistré, circonstance émouvante, en présence de ce dernier, à l'intention duquel José Pechoco, autre baleinier de Fayal, chanteur réputé, avait composé le récit. C'est la première fois qu'il le chantait en public.
Face 1, n° 2: Chamarita. C'est la danse la plus populaire des Açores. Elle est chantée ici par un tout jeune paysans venu au camp des baleiniers le jour où l'on y avait organisé une fête destinée à marquer le début de la campagne de chasse. Sa voix alterne avec celle du baleinier Luis Silva. Un petit ensemble de guitares jouées par des paysans les accompagne.
Face 2, n° 1: José Pechoco et Luis Silva chantent à leur tour, comme cela est fréquent aux Açores, des couplets qu'ils improvisent sur la vie des baleiniers. Le rythme vif et l'air guilleret de la mélodie contrastent curieusement avec la tristesse du texte qui ne parle que de malheurs.
Face 2, n° 2: Comme pour le chant sur la mort du harponneur, c'est sur l'air d'un fado que José Pechoco chante cet adieu qu'il improvisa au moment de notre départ pour nous souhaiter bon voyage. Il s'accompagne en jouant d'une guitare à six doubles cordes dont les mécanismes sont disposés en éventail en haut du manche.
Tant pour la mélodie que pour l'accompagnement, ces chants de baleiniers se rattachent à la musique populaire portugaise de tradition récente."
Gilbert Rouget, assistant au Département d'ethnomusicologie du Musée de l'Homme.
Le dos de la seconde pochette du EP 4 titres tiré du film Les hommes de la baleine comprend le texte de Mario Ruspoli suivant:
"LES DERNIERS BALEINIERS "TRANCADORS" DE CACHALOTS
Le petit archipel portugais des Açores, perdu au milieu de l'Atlantique est sans aucun doute l'un des derniers à ne pas trop connaître la pollution et l'affreuse modernisation qui ont défiguré tant d'îles et de côtes françaises, italiennes, espagnoles, américaines.
Au 19ème siècle, maints trois-mâts baleiniers partis de NANTUCKET ou de NEW BERFORD faisaient escale à FAYAL, à ANGRA ou à PONTA DELGADA, pour compléter l'équipage. Ainsi, de nombreux jeunes ruraux portugais, bons marins par nature, partirent pour les longs voyages dans toutes les mers du monde à la poursuite du cachalot. Au retour, le navire les déposait à nouveau sur leurs îles, aussi est-il naturel que ces harponneurs, ces dépeceurs, ces rameurs, aient construit des "Canoas", forgé des harpons et des lances et qu'ils aient continué jusqu'à ces dernières années la courageuse et dangereuse chasse à l'ancienne, comme au temps de Moby Dick.
Gilbert ROUGET, au cours de mon expédition à FAYAL, a pu enregistrer les merveilleuses et nostalgiques chansons des "TRANCADORS" - ainsi nomme-t-on les harponneurs - et ce disque est le seul au monde à évoquer la longue attente, dans les nuits solitaires à la pointe Nord-Ouest... L'attente de la fusée matinale, signal que les souffles ont été aperçus par les guetteurs en haut des falaises, et que la grande corrida va commencer.
José PACHECO, le "barde" du village improvisait ses complaintes, s'accompagnant sur la petite "viola" à 8 cordes. L'une d'elles évoque la mort de "TONINHO" survenue lors de l'attaque d'un "cachalot de combat" quelques années avant notre arrivée.
Hélas, une terrible éruption volcanique a ravagé le hameau baleinier qui se trouve aujourd'hui enfoui à cent mètres sous la lave... et l'on n'entendra sans doute plus jamais résonner le chant solitaire du TRANCADOR."
Générique [début, dans l'ordre d'apparition, et de Imdb]
Argos Films et Les Films Armorial présentent
Les hommes de la baleine
visa de contrôle cinématographique n° 21'432
Un film de Mario Ruspoli
Images de Jacques Soulaire [et Mario Ruspoli]
Sons originaux de Gilbert Rouget, assistant au Muséum National d'Histoire Naturelle
Montage de Henri Colpi, Jasmine Chasney
effets spéciaux: Équipe Arcady
laboratoires: Éclair
enregistrements: Studios Marignan
procédé: Eastmancolor
Texte de Jacopo Berenizi [alias Chris Marker]
Dit par Gilles Quéant
Nous remercions de leur aimable concours les baleiniers des Açores et L'Olympic maritime
"Oyez, bon peuple, la baleine du Groënland est déposée, le grand Cachalot règnera désormais à sa place" Hermann Melville
Grand Prix du documentaire de Novi Sad (Yougoslavie)
Grand Prix du documentaire de Mar del Plata (Argentine)
Distribution: Tamasa (pour Argos Films)
Commentaire / scénario: dans L'avant-scène cinéma, n° 24 (mars 1963), p. 46-51
Notes
1 Il s'agit de Frauennot - Frauenglück, en français Misères des femmes - Joies des femmes, d'Eduard Tisse, film suisse sur l'accouchement et l'avortement, en noir et blanc, d'environ 70 minutes, réalisé en 1930, et supervisé et monté en partie par Sergei M. Eisenstein.
2 1989, p. 72-74. À noter, en p. 78, une critique très positive d'Éric Romer sur ce film parue dans Arts.
Bibliographie
- (FR) Simone DUBREUILH, "Les hommes de la baleine de Ruspoli, un "anti-Moby Dick" [interview]", Les lettres françaises, n° 649 (13/12/1956), p. 7
- (FR) Pierre JOFFROY, "La mort du cachalot", Paris-Match, n° 402 (22/12/1956), p. 50-61
- (FR) Anne PHILIPPE, "Les hommes de la baleine de Ruspoli", Les lettres françaises, n° 654 (17/01/1957), p. 5
- (FR) Eric ROHMER, "Lettre de Sibérie. Les hommes de la baleine", Arts, n° 695 (05/11/1958), p. 7; réédition: in Jacques GERBER, Anatole Dauman. Argos Films. Souvenir-Écran, Paris: Centre Georges Pompidou, 1989, p. 78
- (FR) Jean DUTOUR, "La pêche à la baleine. Les hommes de la baleine, film de Mario Ruspoli", Carrefour, n° n/a (06/11/1958), p. n/a
- (FR) Jean-Louis TALLENAY, "Deux documentaires hors série: Les hommes de la baleine, Lettre de Sibérie", Radio, cinéma, télévision, n° 461 (16/11/1958), p. 45; réédition: in Jacques GERBER (éd.), Anatole Dauman. Argos Films. Souvenir-Écran, Paris: Centre Georges Pompidou, 1989, p. 156
- (FR) Raymond BELLOUR / Jean MICHAUD, "Derrière le miroir de la vérité avec Mario Ruspoli", Cinéma 62, n° 66 (05/1962), p. 33-45 et 154-157
- (FR) François PORCILE, Défense du court métrage français, Paris: Édition du Cerf, 1963, p. 65-68
- (FR) Michel MESNIL, "Le poème de la vérité", Artsept, n° 2 (04/1963), p. 71-75
- (FR) Mario RUSPOLI, "Propos sur Chris Marker, receuillis par Jean Mazeas", Image et son, n° 161-162 (14/05/1963), p. 55
- (FR) Jacques GERBER, Anatole Dauman. Argos Films. Souvenir-Écran, Paris: Centre Georges Pompidou, 1989, p. 71-75
- (FR) Stéphane KAHN, "Les hommes de la baleine", Bref, n° 68 (09/2005), p. 18
- (FR) Philippe ROUSSEAU, "La Rochelle 2012", Jeune cinéma, n° 347-348 (09/2012), p. 57
- (PT) Francisco Maia HENRIQUES, "A Tourada do mar: a baleação açoriana observada por Mário Ruspoli e Chris Marker", Atlántida: revista de cultura, vol. LVIII, n° 13 (2013), p. 203-222 (web)
- (PT) Amável Cardoso FIDALGO, "22 - Modelismo naval 6.1.1 - Baleação: uma introdução e as fontes", Mar e arte: artesanato urbano de coisas ligadas ao mar (e outras), 19/09/2019, en ligne (web)
Django Reinhardt / Paul Paviot
1957 - France - 25'06'' - 35 mm - N&B
Le court métrage Django Reinhardt de Paul Paviot est avant tout un hommage, mais c'est aussi un documentaire qui retrace le cheminement d'un musicien hors norme, un gitan aux doigts de fée1. Comme l'écrivait Gilbert Salachas, dans le Télé-ciné de février 1959: "le ton n'a ni l'indifférence du pensum, ni l'excessive boursouflure de l'oraison funèbre."2
Pour reconstituer l'atmosphère d'une époque révolue, les caves de Saint-Germain d'avant-guerre, Paul Paviot s'entoure des témoins et amis de Django, dont Stéphane Grappelly, Alix Combelle et André Ekyan, directeur de l'orchestre dans lequel Django jouera dès 1931 au club La croix du Sud.
Lors d'un entretien téléphonique, Paul Paviot nous a expliqué comment il a procédé pour obtenir un commentaire de Chris Marker, alors que celui-ci refusait catégoriquement depuis quelque temps déjà d'en écrire. Depuis, l'aide qu'il avait apporté à Marker pour le tournage de son premier film, Dimanche à Pékin (1956), les deux hommes étaient en très bons termes. D'une certaine façon, Marker était redevable. Pourtant, lorsque Paviot lui demanda de rédiger un commentaire pour son film, Marker refusa, suivant sa décision selon laquelle il n'écrirait plus que pour lui-même. Aussi, à court d'arguments, Paul Paviot finit par lancer, tout à trac, "si tu ne veux pas le faire, fais-le au moins pour Django!" Paviot nous raconta qu'en colère, Marker claqua la porte et partit. Mais quelques jours plus tard, cependant, il revint et accepta d'écrire le commentaire.
Django Reinhardt est aussi l'occasion de retrouvailles. Paul Paviot nous expliqua également que pour la narration du texte, il envisageait de demander à Yves Montand. Connaissant Simone Signoret, la femme de Montand, cela lui donnait un accès direct à cet homme dont la célébrité (et donc l'agenda déjà bien garni) ne faisait que croître. Montand accepta cependant sans autre, avec la gentillesse dont il était coutumier dès qu'un sujet lui tenait à coeur. Paviot présenta donc Montand à Marker, rencontre à l'origine d'une amitié qui devait durer toute une vie. Mais par ce fait, Paviot permis aussi à Marker de retrouver son amie d'enfance, Simone Kaminker, devenue Simone Signoret.
Quoiqu'il en soit, le film de Paul Paviot est considéré, encore à ce jour, comme LE film sur Django Reinhardt. On y voit par ailleurs les rares, mais non les seules, images filmées existantes du musicien à l'oeuvre.3
Le n° 2-3 des Études tsiganes paru en avril 1959, nous apprend par ailleurs que "le film a été projeté en avant-première à Paris, maison de la Chimie, en mars 1958, au cours d'un gala organisé par Mme Lhuillier et les "Amitiés Tsiganes". Paricipaient également à ce gala l'ensemble folklorique tsigane de Montreuil, des Gitans espagnols et des choeurs de Tsiganes hongrois" (p. 10).
Enfin, il n'est pas inutile de préciser qu'en 1978, le documentariste allemand Peter Gehrig réalise un autre court métrage sur Django, peu connus des spécialistes et amateurs français. Ce court métrage, intitulé Django Reinhardt: die Legende eines Jazz-Gitarristen, comprend des interviews de Stéphane Grapelli, Eddie Barclay ou encore Daniel Gélin.
Le film de Paviot, très difficilement visionable après sa sortie, à fait depuis le début du siècle l'objet d'au moins trois éditions DVD, en France (2010, 2017 et 2020).
Préface de Django Reinhardt, gentleman manouche par Jean Cocteau
"Django mort, c'est un de ces doux fauves qui meurent en cage. Il a vécu comme on rêve de vivre: en roulotte. Et même lorsque ce n'était plus une roulotte de romanichel, c'était encore une roulotte. Son âme était ambulante, et sainte. Et ses rythmes lui étaient propres à l'exemple des rayures du tigre et de sa phosphorescence. Elles habitaient sa peau. Elles le rendaient royal et invisible aux chasseurs. Mais les chasseurs finissent toujours par abattre les doux fauves qui ne veulent de mal à personne. Et parmi les chasseurs il y a la fatigue, cet ogre parisien qui nous dévore.
Django se dépensait pour tous avec la générosité gitane, il jetait son or par la fenêtre et cet or n'était autre que lui." (1957)
J'attendrai par Django Reinhardt et Stéphane Grapelli
dans l'émission "Jazz Hot" / Stoney Lane Records
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
Une production Madeleine Casanova-Rodriguez, pour Pavox Films
Django Reinhardt
Un film écrit et réalisé par Paul Paviot
Avec la participation de: Stéphane Grappelly, Hubert Rostaing, André Ekyan, Alix Combelle, Emmanuel Soudieux, Gérard Leveque, Eugène Vees, Hubert Fol, Henri Crolla, Raymond Fol, Joseph Reinhardt
images: Jean Leherissey, Marc Fossard, assistés de Robert Alliel et Paul Launay
assistant réalisateur: Ralph Roncoroni
montage: Francine Grubert
documents: Reinhardt, Savitry, Delaunay, Studio Tronchet, Paris-Match, Derrien, Charbonnier, Willy Rizzo, Stéphane Grappelly
Tournés par Antonio Harispe, équipe Arcady
disques: Pathé-Marconi, Decca, Barclay, Vogue
emregistrement: Studios Marignan, Laboratoires Eclair
Visa de contrôle cinématographique n° 20.211
conseiller musical: Charles Delaunay
Texte de Chris Marker, dit par Yves Montand
Musique de Django Reinhardt
Distribution: CITEL VIDEO
Commentaire / scénario: non édité
trois Notes
1 La technique si particulière de Django, à l'origine du Jazz manouche, est en fait le résultat d'un accident et d'une ténacité à toute épreuve. Le 26 octobre 1928, la roulotte de Django prend feu et Django est très gravement brûlé, perdant l'usage de deux doigts de sa main gauche. Après 6 mois de travail acharné et malgré ce mauvais coup du sort, il développe sa nouvelle technique de jeu à la guitare qui fera sa célébrité.
2 Tiré du livret contenu dans le coffret Django Reinhardt, gentleman manouche paru chez Citel Vidéo en 2010, p. 19.
3 Elle appaissent également dans trois montages télévisuels conservés par l'INA: l'un dans les Actualités françaises intitulé "La fête des gitans: qu'est aujourd'hui le monde gitan?" (aux minutes 1'46 - 1'57), l'autre dans le reportage "Hommage à Django Reinhardt" du JT de 13h du 28 mai 1973 (aux minutes 2'13 - 2'22), et le dernier dans le Journal de 13h, le 16 mai 2003, dans un reportage intitulé "Django Reinhardt", coupé en plusieurs morceaux (0'40 - 0'48; 0'57 - 1'00; 1'04 - 1'09 / voir ci-dessus).
Inconnus jusqu'en 2008 environ, on retrouve cependant d'autres extraits de J'attendrai dans:
- "Au Tabarin on dans le jitterbug" diffusé sur le site de l'INA (aux minutes 1'51-2'04), un reportage de France Libre Actualités paru en janvier 1944, dans lequel apparaît également Marlène Dietrich.
- "Les enfants de Django: du jazz sans tambour ni trompette" de Patrick Savey (aux minutes 1'20 - 2'17 + 13'39 - 14'04), soit d'après le générique le morceau J'attendrai, "extrait de Jazz Hot 1939 - Lobster films".
- "Django Reinhardt: le jazz manouche a fait des petits", reportage par Marie Noelle Valles et Emmanuelle Hausler pour AFP vidéo, le 22 janvier 2010 (aux minutes 0'34 - 0'46): morceau J'attendrai avec Stéphane Grapelli
Et puis en 2010, apparaît le documentaire Django Reinhardt, trois doigts de génie de Christian Cascio (diffusé sur le site de l'INA), dans lequel on peut voir Django jouant de la guitare dans un train, entouré de "ses frères manouches", comme le montre la bande-annonce visionable sur EuroArts (aux minutes 3'34 - 3'46).
Bibliographie
- (DE) n/a, "Bemerkungen zu Django Reinhardt", n/a (web)
- (FR) Michel-Claude JALARD, "Django Reinhardt de Paul Paviot", Gazette littéraire (supplément de la Gazette de Lausanne), n° n/a (19/04/1958), p. n/a
- (FR) n/a, Éducation nationale, n° n/a (01/05/1958), p. n/a
- (FR) Simone DUBREUILH / Pierre PHILIPPE / Marcel MARTIN, "Bruxelles 1958", Cinéma 58, n° 29 (07/1958), p. 54
- (FR) n/a, Télé-ciné, n° n/a (02/1959), p. n/a
- (FR) Paule SENGISSEN, "Django Reinhardt. Un court métrage émouvant", Radio cinéma, n° n/a (05/04/1959), p. n/a
- (FR) Guy GAUTHIER, "Paul Paviot", Image et son, n° 161-162 (14/05/1963), p. 58-59
- (FR) Jean WAGNER, n/a, Télérama, n° n/a (15/05/1971), p. n/a
- (FR) Gilles MOUËLLIC, "Blues pour Django (Django Reinhardt, Paul Paviot, 1958)", in Antony FIANT / Roxanne HAMERY (éd.), Le court métrage français de 1945 à 1968 (2), Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 195-202 (web)
- (FR) Christophe CHAZALON, "Django et le jazz manouche", Revue du Ciné-club universitaire de Genève, 09-12/2011, p. 47-50 (web)
Le mystère de l'atelier quinze / Alain Resnais et André Heinrich
1957 - France - 18' - 35 mm - N&B
Commande de l'Institut national d'hygiène et de sécurité (INS), Le mystère de l'atelier quinze est un film atypique sur le monde du travail. Il se présente en effet comme un "polar", avec un "crime" à élucider sous forme d'enquête.
Dans une lettre à L'avant-scène cinéma, André Heinrich décrit la réalisation du film.
"J'ai été amené à "exécuter" Le mystère de l'atelier 15. Deux ou trois semaines avant le tournage, Resnais m'a demandé - je ne sais pour quelle raison exacte - de le relayer. A cette époque, le scénario était pratiquement terminé et Resnais avait déjà repéré.
Resnais et sa productrice m'avaient laissé une entière liberté. Théorique... Théorique (et j'en suis très heureux), car le client avait demandé un film à Resnais, et en tant qu'ami et ancien assistant de Resnais, je me devais de donner un "matériel Resnais" à Resnais qui devait monter le film lui-même.
Donc, sur les données que nous avions établies ensemble, j'ai apporté des modifications en cours de tournage et, de son côté, Resnais - qui était à Paris - m'envoyait des notes et des suggestions de plans en vue du montage (voir p. 38-39).
Resnais est venu une ou deux fois sur les lieux de tournage. Heureusement, car, un jour où j'étais accidenté, il a tourné lui-même quelques plans.
Etant repris par mon travail normal, Resnais a fait absolument seul le montage. Et j'ai été le premier heureusement surpris en voyant le résultat."1 [...]
Sur le plan technique, le film a été tourné à l'usine Francolor de Oissel, dans le département de Seine-Marîtime.
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
Sous l'égide de l'Institut National de Sécurité
Les Films Jacqueline Jacoupy (du groupe des Trente) présentent
Le mystère de l'atelier quinze
Un scénario original de Rémo Forlani
Porté à l'écran par
André Heinrich (XXX), Alain Resnais (XXX), Chris Marker (XXX), Yves Peneau, Jean Brugot, Anne Sarraute, Fernand Marzelle, Claude Joudioux, André Schlotter, Fearless Fosdick, Elisabeth Seibel
Sous le contrôle technique de
André Vallaud et Georges Smagghe,
images: Ghislain Cloquet (XXX), Sacha Vierny
musique: Pierre Barbaud
Orchestre sous la direction de Georges Delerue
voix: Jean-Pierre Grenier
son: Marignan (Paris)
laboratoire: Eclair (Epinay)
Distribution: Films du Jeudi
Commentaire / scénario: dans L'avant-scène cinéma, n° 61-62 (07-09/1966), p. 73-78 et photos, p. 67, plans du story-board, p. 39
Notes
1 Lettre du 2 juin 1966 publiée dans L'avant-scène cinéma, n° 61-62 (07-09/1966), p. 39-40
Bibliographie
- (FR) C.-M. TREMOIS, "Festival de Tours", Téléciné, n° 73 (03/1958), p. n/a
- (FR) Bernard PINGAUD, Pierre SAMSON, "Dialogue avec Pierre Bardaud", L'arc, n° 313 (1995), p. n/a
- Voir les 2 fonds (Jaune et Heinrich) conservés par la Cinémathèque française.
Des hommes dans le ciel / Jean-Jacques Languepin et André Suire
1958 - France - 9'47 - 16 mm gonflé 35 mm - Couleur
Des hommes dans le ciel ce n'est autre que le tournage du premier saut en chute libre filmé pour le grand public, le tout monté avec quelques gravures et images d'archives présentant les pionniers de l'aviation, dont les recherches de Léonard de Vinci, et un très bref commentaire écrit par Chris Marker (bien que non crédité au générique).
Le film commence par une citation de l'astronome du roi, Joseph-Jérôme Lefrançois de Lalande, datant de 1782:
"Il est démontré impossible dans tous les sens qu'un homme puisse s'élever ou même se soutenir en l'air. Il n'y a donc qu'un ignorant qui puisse former des tentatives de cette espèce."
Il s'achève sur ces mots:
"Ces images fantastiques sont simplement les images merveilleuses du pouvoir de l'homme."
Des hommes dans le ciel est donc le fruit de l'innovation technologique et d'un enthousiasme sans borne pour le saut en parachute. Or, ces images qui ont sans aucun doute émerveillées les spectateurs de l'époque, ne sont aujourd'hui rien de plus qu'un témoignage de passionnés, symbole d'une époque révolue.
Dans son hommage à André Suire, paru en janvier 2008 dans la revue Paramag, Guy Sauvage résume très bien la situation.
"Aujourd'hui, rien n'étonne plus personne. On peut confier à un copain le rôle d'assistant et lui demander de chuter stable et "hors cadre" pour diriger un flash d'appoint sur un mannequin qui, lui (elle!) aussi, saura garder parfaitement la pose demandée pendant que le photographe mitraillera ou filmera tout à loisir, en prenant le temps de veiller à la position du soleil, de changer d'angle, etc. Le niveau technique du Vol Relatif actuel est tel qu'il est probablement très difficile à un pratiquant de 2007 d'imaginer une époque, pas si lointaine d'ailleurs (enfin... ça dépend pour qui!), où la plus élémentaire des prises de vues en chute requérait le plus souvent du preneur d'images des qualités de chasseur... à courre, alors que ses propres capacités étaient elles-mêmes celles de l'État de l'Art de l'époque. La difficulté de trouver des sujets sachant voler n'existe plus aujourd'hui, ni celle liée aux aléas de matériels introuvables dans le commerce (les boîtiers photo motorisés par exemple), ni celle liée au poids des caméras. Il faut donc faire mentalement abstraction de toutes ces facilités qui nous sont offertes aujourd'hui pour apprécier l'immense pas en avant que Suire fit faire au monde des hommes-oiseaux. Avec ses images bien sûr, mais également avec sa plume, une plume simple, précise, efficace, mais aussi distinguée, sensible, une vraie plume d'écrivain qui fait de son bouquin Chute libre un monument à la gloire du parachutisme. [...] André Suire n'est pas le premier, ni le seul pionnier du parachutisme moderne. Lui-même n'a pas de mots assez forts pour encenser les ténors de son époque, et au premier rang Michel Prik, un homme dans lequel il découvrira probablement, sans l'avouer pourtant, un rebelle fait du même bois que lui-même. Devenu un brillant technicien sous la houlette principale du grand Prik, Suire n'écrit cependant par à l'encre vaniteuse. Sa pensée s'impose néanmoins comme un héritage qui dépasse la simple matérialité des quelques images tremblotantes qu'une petite poignée de connaisseurs découvrirent voici 50 ans."1
Et effectivement, la même année que Des hommes dans le ciel, paraît le livre d'André Suire: Chute libre, alors que le 3 novembre 1961, dans l'émission de l'ORTF Cinq colonnes à la une, intitulée "Caméra-témoin: chute libre de 5000 mètres" (ci-dessous), André Suire réitére son expérience: filmer un saut en parachute avec une caméra de télévision attachée sur le casque.
Quant à la présence de Marker dans l'élaboration de ce film, on en ignore tout. Le commentaire lui est attribué, entre autre, par le site des Archives françaises du film (AFF-CNC), où Des hommes dans le ciel est visionable, dans les locaux de Bois d'Arcy, sur demandes préalables.
En fait, la participation de Marker à ce film, tient peut-être au lien qui l'unit, à cette période, à Raymond Vogel qui participe aussi au tournage Des hommes dans le ciel, bien que non crédité au générique, selon les documents de la Cinémathèque de Bretagne.2
André Suire: chute libre de 5000 mètres.
Quoiqu'il en soit, le film Des hommes dans le ciel a été mis en ligne en 2020, par la Bibliothèque municipale de Grenoble, à la suite d'une numérisation effectuée par la Cinémathèque d'images de montagne de Gap (réf. 1AV37), d'après une copie déposées aux Archives départementales de l'Isère, par Jack Lesage. (web)
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
Cinecim et Jean-Jacques Languepin présentent
Des hommes dans le ciel
Visa de contrôle cinématographique n° 21.257
prises de vue en chute libre: André Suire
Avec les hommes volants: Michel Prick, J. C. Dubois, S. Chasak, J. Grivet
montage: M[arie] J[oseph] Yoyotte
assistant: Ed. Denis
laboratoire: G.T.C.
animation: équipe Arcady
Musique de Marius Constant
Texte [de Chris Marker], dit par Michel Auclair
Avec la participation de Raymond Vogel (non crédité)
Distribution: Ministère des Affaires Etrangères et Européennes - Institut Français
Commentaire / scénario: non édité (quasi muet, voir début du texte ci-dessus)
Des hommes dans le ciel CH2_2013.pdf
Notes
1 Guy Sauvage, "Hommage à André Suire", Paramag, n° 248 (01/2008), p. 47
2 Voir la filmographie éditée dans le livret du dvd Enez Sun. Ile de Sein, 2010, p. [7]
Bibliographie
- (FR) André SUIRE, Chute libre, Paris: Arthaud, 1958, 242 p.
- (FR) Jacques DONIOL-VALCROZE, "Tours 1958", Cahiers du cinéma, n° 92 (02/1959), p. 28-30
- (FR) Raymond BORDE, "Tours 1958", Cinéma 59 , n° 33 (02/1959), p. 13
- (FR) Guy SAUVAGE, "Hommage à André Suire", Paramag, n° 248 (01/2008), p. 46-53
Le siècle à soif / Raymond Vogel
1958 - France - 14'36'' - 16 mm - Couleur
Ce film de commande est un court métrage documentaire didactique et hygiéniste sur la soif, ses origines, ses raisons et les moyens que l'homme a trouvé pour la contrer. De l'effort de l'alpinisme à la marche quotidienne ou aux loisirs des citadins, de la fatigue des bureaucrates ou des orfèvres aux dures journées des ouvriers de la sidérurgie, la soif obsède. Pour l'étancher, l'homme a inventé la bouteille… et pour le plaisir, suppléant l'eau, il a produit les jus de fruits, sirops et autres sodas.
Quant à la présence de Marker dans l'élaboration de ce film, on en ignore tout, si ce n'est la relation avec Raymond Vogel, pour lequel il écrit la même année le commentaire de La mer et les jours (ci-après). Même si le générique attribue le commentaire du Siècle à soif à un certain Paolo Scala, il était attribué à Chris Marker par le site "Ciné-Ressources" de la Cinémathèque française. "Était" car depuis 2020 au moins, l'auteur "de l'oeuvre originale" est redevenu Paolo Scala. Cependant si l'on considère le générique du film, il est précisé après le nom de Scala: "d'après L'ode à l'eau du marquis de Chaléon (1721-1784)". Or toutes nos recherches sur cette oeuvre et sur cet auteur se sont avérées sans suite. Ce qui laisse supposer (sans preuve formelle cependant) qu'il s'agirait d'un nouveau "gag" et d'un nouvel alias de Marker. Une analyse des documents d'archives du film apportera peut-être la confirmation de ceci!
Notons, quoiqu'il en soit, que Le siècle à soif est visionable aux Archives françaises du film (AFF-CNC), dans les locaux de Bois d'Arcy, sur demande préalable.
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
"Nous remercions les administrations et entreprises, et tous ceux qui, ingénieurs et ouvriers, ont apporté leur concours à la réalisation de ce film."
Une production Images du temps
Le siècle à soif
Avec Anne-Marie Coffinet et Hugues Auffray
réalisation: R[aymond] Vogel, en collaboration avec Paul Seban et Edmond Denis
conseillers techniques: André Bertrand et Franck Laurencine
Images de Maurice Barry et Georges Leclerc, assistés de Jean-Louis Picavet et Roland Paillas
Musique originale de Georges Delerue
montage: Henri Colpi et Jasmine Chasney, assistés de Francis Bouchet
Texte de Paolo Scala, d'après L'Ode à l'eau du marquis de Chaléon (1721-1784), dit par Michel Auclair
En Eastmancolor, enregistrement Marignan
laboratoires: Pranay L.T.C. Saint-Cloud
visa de contrôle cinématographique n° 21.266
Distribution: INPES
Commentaire / scénario: non édité
La mer et les jours / Raymond Vogel et Alain Kaminker
1958 - France - 22' - 16 mm - N&B
Pour la sortie DVD du film, la cinémathèque de Bretagne donna un descriptif précis de l'élaboration de La mer et les jours, court métrage documentaire réalisé par Raymond Vogel et Alain Kaminker, sur les habitants de l'île de Sein. C'est en fait ce dernier qui poussa Vogel à tourner le film et à convaincre le producteur de le financer. Le 15 septembre 1958, le scénario est achevé. Le 21 octobre, une demande est déposé auprès du CNC, sous le titre L'île de Sein. Une fois sur place, un naufrage survient, le 15 novembre 1958. C'est celui de l'Anne Gaston. L'équipe suit le sauvetage et la recherche des corps.
Le film achevé, Alain Kaminker reste sur l'île et alors qu'une des plus fortes tempêtes depuis 1951 fait rage, il part en mer pour tourner quelques séquences manquantes pour le film. Raymond Vogel, lui, s'occupe du montage à Paris. Sujet au mal de mer, Kaminker tourne quant même. "Vers 16h, une lame balaya subitement le pont et l'emporta. Son corps fut retrouvé le lendemain à 6h30, le 12 décembre 1958". Cette mort toucha profondément les habitants de l'île, où Alain Kaminker est enterré sur demande de la famille, même si sa soeur Simone Signoret et Yves Montand ne purent faire le déplacement.
Le film fut sélectionné au Festival de Cannes de 1959 et Alain Kaminker reçu un prix postume pour son travail et son engagement, alors que sa soeur y recevait le prix d'interprétation féminine pour son rôle dans Les chemins de la haute ville de Jack Clayton.
La mairie de l'île de Sein, dont les habitants sont le sujet du film, intitulé depuis La mer et les jours, donne le résumé suivant de ce décès:
"Tournée en 1958, cette chronique des jours d'hiver à l'île de Sein témoigne en direct des opérations de sauvetage des survivants du naufrage de l'Anne-Gaston, un chalutier concarnois. Quelques jours plus tard, en filmant la tempête du côté d'Ar Men, à bord du Vice-Amiral Touchard, le canot de sauvetage de l'île, Kaminker, victime du mal de mer, tombe à l'eau. Son corps est retrouvé le lendemain sur une grève de l'île où il est enterré, selon la volonté de sa famille."
À noter que le documentaire de René Vautier, Mourir pour des images (1971), qui retrace l'histoire du tournage de La mer et les jours, par l'intermédiaire d'entretiens, constitue un excellent complément au film.
Enfin, en 2020, la Cinémathèque de Bretagne a mis en ligne le film de Vogel et Kaminker, ainsi que nombre de photographies et quelques pages du "storyboard". Une initiative utile et qu'on apprécie.
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
"Aux marins de l'Anne-Gaston, péris en mer le 15 novembre 1958.
À Alain Kaminker, qui filma leur naufrage et participa au sauvetage des survivants, péri en mer le 11 décembre 1958, en achevant cette chronique."
La mer et les jours
production: Son et lumière, Pierre Long
réalisation: R[aymond] Vogel, en collaboration avec Alain Kaminker
images: André Dumaitre
montage: Henri Colpi, Jasmine Chasney, assistés de Francis Bouchet
musique: Georges Delerue
Texte de Chris Marker, dit par Daniel Ivernel
direction de production: Robert Quillévéré
laboratoires: Franay L.T.C. Saint-Cloud
enregistrement: Marignan
effets spéciaux: Lax
visa de contrôle cinématographique n° 21.494
Distribution: Cinémathèque de Bretagne
Commentaire / scénario: dans L'avant-scène cinéma, n° 68 (03/1967), p. 61-66
Bibliographie
- (FR) Michel FIRK, "Défense du court métrage", Les lettres françaises, n° 766 (26/03/1959), p. 9
- (FR) Georges ARNAUD, "Les jeunes Turcs crèvent l'écran: Raymond Vogel (France). La mer ou le cosmos, mais toujours l'homme", Les lettres françaises, n° 775 (28/05/1959), p. 7
- (FR) Michel CAPDENAC, "Le chemin des écoliers et La mer et les jours", Les lettres françaises, n° 792 (01/10/1959), p. 4
- (FR) François PORCILE, Défense du court métrage français, Paris: Edition du Cerf, 1963, p. 73-74
- (FR) Serge STAYER, "La mer et les jours", Kultur Bretagne, 2017, en ligne (web)
Le vivarium / Gérald Calderon
1958 - France - 10'49 - 35 mm - N&B
Dans les archives des Films du Jeudi, société fondée par le producteur Pierre Braunberger, a été retrouvé un document signé Chris Marker1. Il s'agit de la transcription du commentaire du Vivarium de Gérald Calderon. L'ironie mêlée d'humour, omniprésente dans ce texte, suffirait, à elle seule, à confirmer cette attribution. Calderon offrant aux spectateurs de regarder des deux côtés du miroir d'un vivarium, à savoir les vitres qui séparent les animaux des visiteurs, permet par la même occasion à Marker de laisser aller son imagination caustique. Le film se clôture par ces mots:
"Au sortir de cette confrontation, la petite fille peut rêver aux espèces animales qui font si cruellement défaut à la Création: le lapoussin, la crevette bleue ou le hibou sauteur. Elle ne sait pas qu'elle aussi un vivarium l'attend, qui pour toujours l'enfermera à l'abri de la vie, dans sa cage transparente, et qui s'appelle l'âge de Raison."
On ignore cependant tout des relations entre Calderon et Marker.
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
Pierre Braunberger présente
Le vivarium
Visa ministériel n° 21.672
Un film de Gérald Calderon, avec la collaboration de Jean-Marie Baufle, du Muséum d'Histoire Naturelle
Texte [de Chris Marker (non crédité)], dit par Catherine Le Couey
musique: Guy Bernard
Dirigée par Georges Delerue
directeur de production: Roger Fleytoux
montage: Catherine Dourgnon
Distribution: Films du Jeudi (anciennement Films de la Pléiade)
Commentaire / scénario: non édité
Notes
1 Nous remercions vivement Mme Laurence Braunberger de nous avoir transmis ce document.
L'Amérique insolite / François Reichenbach
1960 - France - 90' - 35 mm - Couleur
"J'ai parcouru l'Amérique pendant 18 mois en quête de quotidien et d'insolite. Nous avons pu, ma caméra et moi, entrer partout, même dans les prisons. Rien de ce que vous allez voir n'a été truqué ou reconstitué. J'ai seulement voulu montrer l'Amérique avec ses règles sévères et son indulgence; ses habitudes laborieuses, sa bonne foi, son goût éternel de la jeunesse et de la liberté sans lequel un film de ce genre n'aurait pu être tourné", ainsi commence L'Amérique insolite.
Or, déjà le 19 novembre 1958, dans le journal hebdomadaire Arts, Jean-Louis Horbette résumait l'entrevue accordée par François Reichenbach, entre deux avions. Ce dernier passionné par l'Amérique, où il exerçait à l'origine la profession de marchand de tableaux et de critique d'art, avait réalisé plusieurs courts métrages sur ce pays, tournés avec une caméra amateur, et les avait présentés aussi bien à ses amis qu'à d'autres personnes du milieu cinématographique, dont son cousin, le producteur Pierre Braunberger. "Non seulement ces films enchantèrent ses amis, mais ils étonnèrent aussi les professionnels. La hardiesse de cadrages, la richesse des couleurs alliées à un humour indéniable et à un sens aigu de l'observation séduisirent les amateurs de cinéma pur." Ce premier grand film, dont il est venu "visionner les rushes" et pour lequel il prévoit encore deux mois de tournage, est alors intitulé L'Amérique vue par un Français. Reichenbach confie à Horbette pourquoi il a pris cet angle d'approche si particulier:
"Mon scénario, dit-il, le voilà. Il tient tout entier là-dedans". Il brandit un livre gros comme un dictionnaire. C'est, si l'on veut, l'équivalent de notre "annuaire des foires et marchés". Dix fois plus gros, bien entendu. On y trouve la nomenclature détaillée des douze cents "célébrations" annuelles chères au coeur de l'Américain du Texas ou du Massachusetts et parmi lesquelles on relève, au hasard, le "Bean soup Homecoming Day" (on s'y gave de soupe aux haricots"), le "Jumping frog Constest" (c'est un concours de steeple-chase pour grenouilles), "l'Uncle Remus Festival", "l'Indian Council" de He-He Mill (Orégon), sans parler du "Popcorn Day" de North Loop (Nébraska) etc. [...]
Bien entendu, dit François Reichenbach, ce sont là quelques images de l'Amérique que je cite au hasard parce qu'elles me reviennent à l'instant à la mémoire. Je pourrais vous parler du Syndicat des clochards ou du Congrès des jumeaux (quelque chose de "monstre": on n'imagine pas qu'il puisse y avoir autant de jumeaux sur Terre), mais ce ne sont là que des aspects fragmentaires de cette communauté bouillonnante qu'est l'Amérique et dont on ne connaît généralement que la façade. J'ai voulu, dans mon film, prendre le citoyen américain depuis sa naissance jusqu'à sa mort, la naissance comme la mort n'étant plus des évènements naturels, mais des incidents dont la technique peut modifier le cours"1 (nous soulignons).
Le tournage achevé, reste le montage et là, les choses se compliquent. Dans une interview accordée à Claude Ligure et publiée le 5 mai 1960 dans Les lettres françaises, à la suite de la sélection du film au Festival de Cannes, Reichenbach explique comment il conçoit son cinéma:
"Je me suis attelé au montage il y a plus d'un an et il vient seulement d'être terminé. [...] J'ai beau me dire que ce travail s'imposait, je regrette d'avoir dû couper un tas de plans pas plus mauvais que ceux restant. [...] Pour moi, l'idéal aurait été de tout laisser bout à bout, puisque j'aimais tout. Ce n'aurait pas été un spectacle proprement dit, mais une chose qui se déroule (il trace de la main plusieurs cercles dans le vide). Là-dessus, plein de musique, mais d'égale puissance. Le tout aurai été une chose sans début ni fin qu'on aurait pu voir indéfiniment ou arrêter à loisir. [...] Pour ma part, je préfère les brouillons. [...] Tout ce que je fais est subjectif. C'est pour cette raison que j'ai changé le titre du film. L'Amérique insolite me paraît mieux indiqué que L'Amérique vue par un Français, à moins d'encercler le UN. Prenez ce gosse, par exemple. Tous les petits Américains ne lui ressemblent pas. Vous ne verrez jamais non plus une glace de cette taille. J'ai choisi le gamin pour ses tâches de rousseur qui s'harmonise avec les couleurs de la glace. Comme un peintre compose sa toile. C'est ce qui m'empêche de considérer ce film comme un documentaire. Un reportage, alors? Exactement. C'est ainsi que je conçois le cinéma. Le jour où j'ai acheté une caméra, j'ai compris que cet instrument pouvait fort bien remplacer le talent d'écrivain qui me manque. C'est le moyen d'expression qui convient le mieux à ma nature en même temps que le plus adapté à notre époque."2
Cette approche est confirmée dans une autre interview publiée dans Artsept, en avril 1963. À la question de savoir ce qu'il pensait du terme "cinéma-vérité", Reichenbach répond:
"En ce qui me concerne, il ne s'agit en rien de cinéma-vérité. Je dirais cinéma-aventure. Mais le terme m'intéresse, car il introduit l'idée de témoin. Ce sont ces films qui nous montreront le plus comment était une époque. Le seul vrai cinéma-vérité qui soit, ce n'est pas celui de Rouch: mais celui de Leacock. Je les ai vus filmer: la caméra disparaît. Quand Rouch fait intervenir une musique, il change l'atmosphère d'un film. Leacock se refuse à toute intervention extérieure. Son meilleur film est Football. C'est un témoignage parfait de l'Amérique. Cela, on peut l'appeler vérité. Comme le travail des Canadiens.
Quelle importance attribuez-vous à l'entretien?
À la difference de Rouch, je disparais complètement. Mon rôle est de me cacher. Je ne veux en rien changer la destinée des gens, leur comportement. Rouch psychanalyse, mais j'ai une conversation dans laquelle je m'efface. Mon seul rôle est de mettre le film en mouvement. L'Amérique insolite a été l'un des premiers films à prendre les gens sur le vif, mais c'est un film de sourd alors que l'Amérique est un pays extraordinaire à entendre. Il y a un texte extérieur et cela est un défaut. [...]
Il semble donc que vous deviez opter pour la solution que préconise Rouch, le "réalisateur-caméraman"?
Complètement. Sans cela il n'y a pas de film. Si vous amenez un opérateur, c'est faux. C'est comme si vous enregistriez sans les écouteurs. Cela m'est arrivé, dans Un coeur gros comme ça. C'est là le hasard qui intervient. L'opérateur fait tout dans ce genre de cinéma. Ou alors on oublie complètement la technique. [...] Tout est une question de cadrage. J'avais emmené deux caméras pour faire L'Amérique insolite, afin d'avoir deux angles différents. Je n'ai gardé que ce que j'avais filmé.
Quel rôle donnez-vous au montage?
C'est le vrai problème. Un film peut-être réussi jusque là, raté ensuite. Vous ne pouvez non plus confier une seule image à un monteur, ou alors vous faites un autre film. C'est presque pire qu'à la prise de vues. On a besoin de technicien, mais c'est à une seconde près. Cocteau a dit justement: "La prise de vue, ce sont les mots et le montage, ce sont les phrases." Et il m'a dit: "Tu confies tes mots à quelqu'un pour faire des phrases et tu t'étonnes après que ça ne te ressemble pas!"
Que pensez-vous du commentaire et de la musique?
Pour le commentaire, je ne sais que faire. Je ne sais personnellement pas écrire un texte. Hormis Chris Marker, je ne vois personne pour le faire. Vous savez ce qu'il arriva avec L'Amérique insolite. Le texte de Marker était admirable, mais il me psychanalysait. Je me trouvais, moi qui aime l'Amérique, auteur d'un film contre l'Amérique. [...] Si je savais faire un texte, je le ferais. Si je le donne à quelqu'un d'autre, cela devient ou étranger ou très pauvre. Et c'est indispensable. Il faut la voix, ne serait-ce que pour amener la musique. J'ai fait un film sur les photographes à Paris. J'ai mis un texte, puis je l'ai enlevé: le film s'est effondré. Alors je l'ai remis car il me permettait d'introduire la musique. Quant à la musique, Leacock dit que j'ai tort d'en mettre. Pour moi, c'est toute la couleur du film."3
L'Amérique insolite n'a pas été primé à Cannes. Plus encore, les réactions furent mitigées. Certains critiques furent des plus sévères, laissant au fil du temps le sentiment qu'ils n'ont pas vu le même film que celui proposé par Reichenbach. Dans le numéro de septembre 1960 du mensuel Téléciné, consacré au bilan du Festival de Cannes, Madeleine Garrigou-Lagrange écrit, totalement à contre courant de la pensée originelle du réalisateur:
"Pourquoi faut-il que cet oeil se soit aussi voulu intelligent? Par la grâce lourde et pesante du commentaire, le charme farfelu des images s'évanouit. Cette Amérique observée par le petit bout de la lorgnette devient sujet d'une méditation prétentieuse et méprisante. Il ne semble pas que Reichenbach ait aimé ce qu'il s'est tant amusé à regarder, ni qu'il ait cherché à le comprendre. Aussi sa démarche est-elle finalement inverse de celle de Chris Marker: au lieu d'être don et ouverture, elle est accaparement masochiste."
Et Jean d'Yvoire de poursuivre:
L'Amérique insolite est un "film trop facile de petit intellectuel goguenard, qui n'a rien à dire parce qu'il ne sort pas de lui-même. [...] Malgré les occasions offertes, presque rien n'est dit sur l'Amérique, mais beaucoup sur le scepticisme prétentieux et dilettante de l'auteur. Placer bout à bout, sans ordre ni but précis, des images d'un insolite très relatif, ce n'est pas bâtir une oeuvre."
Son confrère Henri Agel souscrit "pleinement à cette démystification" qu'il aurait "pourtant souhaité encore plus sévère. Il y a là, non seulement peu de souci d'être ouvert et honnête, mais beaucoup plus d'esbrouffe pour que nous fassions amitié avec ce film qui joue la facilité."4
En fait, ces critiques sont non seulement à contre courant de la volonté première de Reichenbach, mais elles font fi de l'importance de L'Amérique insolite comme générateur d'un nouveau courant du cinéma documentaire, comme l'a très bien expliqué Michel Serceau, dans le numéro de Cinémaction consacré au documentaire français. Il reprend non seulement les mots de Tennesse Williams après le visionnement en privé de L'Amérique insolite: "c'est un journal...", mais il montre avec justesse toute la différence des cinémas de Reichenbach et Marker, et leur importance dans le renouveau du "cinéma du réel".5
Pour ce qui est de la participation de Marker à L'Amérique insolite, il a écrit un premier commentaire, publié dans ses Commentaires, sous le titre de L'Amérique rêve 6, mais, comme dit ci-dessus, Reichenbach le trouva trop négatif. Une copie de ce film existe toujours, conservée par les Films du Jeudi. Quoiqu'il en soit, Marker entreprit une nouvelle version du commentaire qui fut acceptée par Reichenbach.
Au final, L'Amérique insolite tient aujourd'hui encore toute ses promesses, offrant une Amérique réellement insolite, alors qu'on la croirait connue dans ses moindre retranchements. Mais plus encore, pour ceux qui auront la possibilité de visionner une copie de qualité, L'Amérique insolite se présentera alors comme un des plus resplendissants albums de ce pays fascinant que sont les USA, avec une image léchée et cadrée avec soin, et des couleurs chatoyantes, qui à elles seules feraient du cinéma de François Reichenbach un moment de pure délectation.
Notons, enfin, qu'en 1958 sortait un livre intitulé L'Amérique insolite écrit pas Yves Grosrichard qu'il pourrait être intéressant de mettre en parallèle avec le film de Reichenbach tourné à partir de la même année.
"Un film imaginaire autorise un générique imaginaire. Si j'avais réalisé, au lieu de le rêver, ce film d'un rêve, j'aurais sans doute demandé la musique à Michel Legrand, le jeune génie bien connu - le montage à Albert Jurgenson, le meilleur monteur français (et aimable, avec ça) - la production… Ah! il faudrait un producteur supersonique… Pierre Braunberger, voyons! J'aurais choisi pour dire le texte les voix alternées de Catherine Le Couey et de Roger Mollien. Enfin, comme cameraman, je crois que j'aurais engagé François Reichenbach."
Chris Marker, Commentaires, Paris: Le Seuil, 1961, p. 90 et première version du scénario dans Commentaires 1, Paris: Le Seuil, 1961, p. 80-113
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
Pierre Braunberger présente
L'Amérique insolite vue par François Reichenbach
visa de contrôle cinématographique n° 22.160
Images de François Reichenbach, Jérôme Sutter, Jean-Marc Rippert, Marcel Grignon
montage: Albert Jurgenson
monteuses: Claudine Merlin, Eva Zora
assistant-metteur en scène: Bill Flores
directeur de production: Roger Fleytoux
Musique de Michel Legrand
La chanson Mardi Gras de Michel Legrand et Chris Marker est interprétée par June Richmond
production: Michel Legrand
éditions: Royalty
Un film produit par Pierre Braunberger
Réalisé par François Reichenbach
Award du mérite au Festival International de San Francisco 1962
Distribution: Films du Jeudi
Commentaire / scénario: non édité
L'Amerique insolite vs L'Amerique rêve CH2_2013.pdf
Notes
1 Jean-Louis Horbette, "Entre deux avions, Reichenbach nous découvre l'Amérique", Arts, n° 697 (19-25/11/1958), p. 7. De son côté, Farok Gaffary, de Positif, écrivait: "Monsieur F. Reichenbach a eu la chance de voir agrandir en 35 mm. plusieurs de ses films tournés en kodachrome. Malheureusement il n'y a rien de très intéressant, si ce n'est quelques images de ses Impressions de New York où nous voyons de jolies surimpressions d'enseignes lumineuses. Pour le reste ce film, et New York Ballade, reprennent les effets des documentaires américains tournés depuis au moins 35 ans sur la grande cité. En effet, de Manhattan de Paul Strand et Sheeler (1921) au Bowery de Rogosin (1955), en passant par les films de Flaherty (24 Dollar's Island, 1925), de Jay Leda (A Bronx Morning), Lewis Jacobs (Footnote to Fact et Sunday Beach), Steiner et Van Dyck (The City, 1939), S. Meyers (The Quiet One), Frank Stauiacher et Ian Hugo, tout a été admirablement dit par les Yankees eux-mêmes sur New York. Toute redite ne peut plus épater que ceux qui connaissent l'Amérique à travers Monsieur André Siegfried et la Chine à travers Monsieur Claude Farrère" ("Quelques court-métrages: livres, dessins et villes", Positif, n. 21 (02/1958), p. 46).
2 Claude Ligure, "François Reichenbach raconte l'Amérique", Les lettres françaises, n° 823 (05/05/1960), p. 7. À la question "Vous n'éprouvez jamais de difficultés pendant le tournage?", Reichenbach répond "En Amérique, il suffit d'être Français et cinéaste pour obtenir les choses les plus insensées. La seule qu'on m'ait empêché de filmer est la séance d'entraînement d'une équipe de football, par crainte de me voir revendre les secrets de sa tactique à une équipe rivale. Pour le reste, j'aurais pu tout obtenir, même trois mille personnes pour composer les lettres de mon titre."
3 [anonyme], "Entretien avec François Reichenbach", Artsept, n° 2 (04-06/1960), p. 93-95
Le film Football de Richard Leacock est en fait une co-réalisation avec Robert Drew et James Lipscomb, tourné en 1962 et intitulé Mooney vs. Fowle: the living camera turns to football. Il a été présenté dernièrement durant la 51e Semaine de la critique du Festival de Cannes 2012.
4 Madeleine Garrigou-Lagrange, "Cannes 1960", Téléciné, n° 91 (09/1960), p. 41-42. Les critiques de Jean d'Yvoire et Henri Agel suivent celle de Garrigou-Lagrange. Dans Les lettres françaises du 26 mai 1960, Georges Sadoul tirait lui aussi un bilan mitigé du film, ne comprenant pas le propos de Reichenbach. "On peut prédire une très fructueuse carrière au film de François Reichenbach qui est une indiscutable réussite. Mais non pas un chef-d'oeuvre. Il était d'autant plus difficile de maintenir l'intérêt et le ton, que le réalisateur se refusait par principe à une étude systématique. Il chercha surtout à braquer sa caméra sur le bizarre et non pas sur le caractéristique. Plutôt qu'à nous attacher (ou surtout qu'à "nous donner à penser"), il a voulu d'abord nous amuser et nous surprendre." (n° 826, p. 8)
5 Michel Serceau, "L'avènement du cinéma direct et la métamorphose", Cinémaction: le documentaire français, sous la dir. de René Prédal, n° 41 (01/1987), p. 79-81
6 Commentaires, Paris: Le Seuil, 1961, p. 86-121 et Commentaires 1, Paris: Le Seuil, 1961, p. 80-113
Bibliographie
- (FR) Jean-Louis HORBETTE, "Entre deux avions, Reichenbach nous découvre l'Amérique", Arts, n° 697 (19/11/1958), p. 7
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... à Valparaiso / Joris Ivens
1963 - France - 34' - n/a - N&B
... à Valparaiso n'est autre qu'une visite du premier port Chilien à travers le regard particulier d'un des plus grands documentaristes, le néerlandais Joris Ivens, né à la toute fin du XIXe siècle.
Quelques temps après la sortie de son film, Ivens expliquait au journal hebdomadaire Arts, le 18 mars 1964, qu'il était allé au Chili sur la demande du Centre de cinéma expérimental de Santiago.
"Je devais, continue-t-il, aider à organiser les études d'une vingtaine de jeunes cinéastes. J'ai pensé que le mieux était d'éviter la théorie; nous avons réalisé un film sur Valparaiso. Dans un petit pays comme le Chili, il est impossible de financer une école comme l'IDHEC. C'était la même chose à Cuba. Je donne aux amateurs une ligne de conduite, une méthode, je leur communique mon expérience pratique. Je les jette seulement dans l'eau. Ils doivent nager par eux-mêmes. Je leur dit: "Essaye de rester dans le courant!" Mais je ne donne pas de leçons. Il ne faut pas imposer son propre style."1
De cet apprentissage en direct, Patricio Guzmán tira grand profit! Mais ATTENTION, il ne s'agit pas de l'auteur de la Bataille du Chili qui trouva de l'aide auprès de Marker à plusieurs reprises. Non, non, non! En fait, Patricio Guzmán Lozanes, ami de Marker, n'a jamais travaillé ni collaboré avec Joris Ivens. Il salue souvent le documentariste hollandais comme étant à l'origine du (renouveau du) cinéma documentaire au Chili. Le Patricio Guzmán assistant du chef opérateur de ...à Valparaiso ici mentionné est en fait un célèbre photographe chilien, mort en juin 2014, et qui s'appelle Patricio Guzmán Campos de son nom complet.
Pour le reste, dans un entretien accordé à Robert Grelier, de Positif, Ivens revient sur le tournage de ... à Valparaiso, et tout particulièrement sur le fait de reconstituer des scènes dans le cadre d'un film documentaire.
"Dans Valparaiso, dit-il, j'avais "reconstitué" beaucoup plus, par économie, pour ne pas gâcher trop de temps et de pellicule. Par exemple, une montée d'ascenseur, vous pourriez rester là longtemps. Ou bien un homme portant une chaise d'une certaine façon. Je l'ai vu une fois. Alors, j'ai "reconstitué" avec un homme qui m'a semblé pouvoir refaire comme je l'avais vu. C'est la longue discussion du documentaire: est-ce que j'ai le droit de montrer ça comme ça? Moi, je suis absolument convaincu que, dans certains cas, le documentariste peut le faire, avec beaucoup de discrétion et d'intégrité envers son thème, envers les gens. Si la "reconstitution" entre sur le terrain du mensonge, ça devient faux. Vous avec un bombardement et trois blessés et vous en filmez un autre avec dix autres blessés que vous ajoutez dans un coin. Ca pourrait passer comme la vérité, mais ce n'est pas permis. Un documentariste doit avoir aussi une éthique dans la reconstitution.2
Georges Strouvé décrit rapidement, dans une lettre adressée au producteur Anatole Dauman, le 14 novembre 1962, la situation après quelques semaines de tournages.
"Valparaiso est vraiment une ville extraordinaire et je comprends l'enthousiasme d'Ivens. On dirait que cette ville a été inventée par Mac Orlan, Cendrars et Dubout réunis. Tous les jours, nous faisons des découvertes. Notre tournage n'est cependant pas totalement sans problèmes. Vous connaissez celui du 25mm3. En effet, nous n'avons rien entre le 18mm et le 35mm, et cela est très gênant. Par ailleurs, les Chiliens sont plein de bonne volonté, mais très inexpérimentés. Cela vous explique que notre premier envoi soit composé de "cartes postales" très conventionnelles. Ivens et moi avons pensé qu'il était préférable de commencer par le plus facile pour mettre nos amis dans le bain progressivement. Ils ne connaissaient même par leur matériel: un Duillet neuf que nous avons donc étrenné. Joris Ivens et Sergio Bravo désirent attiré votre attention sur le point de savoir comment va se passer l'importation en France de la pellicule N. et B., d'origine chilienne. À part ces petites choses, pour l'instant tout va bien. Il fait très beau et le tournage se déroule normalement. C'est un plaisir de travailler avec Ivens."4
À peine plus de trois mois plus tard, le 18 juin 1964, Ivens explique ses intentions au journal hebdomadaire Les lettres françaises dirigé par Aragon.
"J'ai voulu montrer la difficile situation de l'Amérique latine, par l'exemple de ce grand port, aujourd'hui dépossédé de ce qui fut sa prospérité ancienne de carrefour du Pacifique. Valparaiso était le Panama d'autrefois, détrôné par le percement du canal en 1911. La pauvreté s'est emparée de la ville, morte comme port international, mais qui connaît encore une certaine animation comme port local. La ville est bâtie sur de nombreuses collines, et ce qui m'a fasciné, ce sont ces montées et descentes perpétuelles par les innombrables escaliers et funiculaires. Il faut tout porter d'en bas sur le dos. La vie est fatigante et difficile. Mais les gens veulent vivre. Le mouvement des funiculaires, rythme étrangement la vie. Quelque chose se passe à chaque niveau, dans cette drôle de ville étagée, avec ses contrastes de pauvreté et de fausse richesse. J'ai vu dans Valparaiso le symbole de ce qui bouge en Amérique latine, et tenez, peu de temps après, c'étaient les évènements de Panama. Justement, à la Bibliothèque nationale de Santiago j'avais remarqué une curieuse caricature: on y voyait l'oncle Sam plantant un clou sur la carte de Panama. J'ai pris cette image qui s'est avérée prophétique. On me dit que j'ai le "flair" du futur. En fait, dans les documentaires, si l'on veut atteindre la vérité dans le développement dynamique de l'histoire, cela revient à approfondir l'actualité pour toucher la vérité historique. Mon meilleur scénariste, c'est l'Histoire."5
Le commentaire, cependant, sera écrit par Chris Marker, dont on reconnaît très facilement la petite touche d'humour et de causticité mordante qui a fait sa renommée.
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
Argos Films et l'Université du Chili présentent
... à Valparaiso
[fin]
Valparaiso, un film de Joris Ivens, assisté de Sergio Bravo
montage: Jean Ravel
image: Georges Strouvé, assisté de Patricio Guzman [Campos]
texte: Chris Marker, dit par Roger Pigaut
musique: Gustavo Becerra
orchestre: sous la direction de Georges Delerue
chanson: "Nous irons à Valparaiso" interprétée par Germaine Montero
assistants metteur en scène: Augustin Altet, Rebecca Yanez, Joaquin Olalla (non crédité, mais ICI)
assistantes au montage: Annie Mouilleron, Annie Meunier
assistant opérateur: Léonardo Martinez
régie générale au Chili: Luis Cornejo, assisté de Manuel Carasco
mixage: Jacques Maumont
auditorium: Simo
laboratoires: LTC Sainct-Cloud
générique: LAX
visa de contrôle cinématographique n° 27'417
producteurs délégués: A. Dauman, Ph. Lifchitz
Prix de la critique internationale (FIPRESCI) au Festival de Manheim (1963)
Grand prix du Festival de Prades (ES / 1963)
Prix spécial au Festival de Leipzig (1963)
Diplôme d'honneur au Festival de Bergame (1963)
Prix de la critique internationale (FIPRESCI), au Festival d'Oberhausen (1964)
Distribution: Tamasa
Commentaire / scénario: dans Image et son, n° 183 (04/1965), p. 73-85 et L'avant-scène cinéma, n° 76 (12/1967), p. 50-57; traduction: (GB) in Rosalind DELMAR, Joris Ivens: 50 years of film-making, Londres: BFI, 1979, p. 88-97
Notes
1 Passage réédité dans Image et son, n° 183 (04/1965), p. 74
2 Robert Grelier, "Entretien avec Joris Ivens", Positif, n° 76 (06/1966), p. 49-50
3 L'abréviation étant difficile à lire, le contexte laisse cependant penser à "mm", soit les objectifs.
4 Jacques Gerber, Anatole Dauman. Argos Films. Souvenir-écran, Paris: Éd. Centre Georges Pompidou, 1989, p. 208-209
5 Passage réédité dans Image et son, n° 183 (04/1965), p. 74
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Le volcan interdit / Haroun Tazieff
1966 - France - 79'30 - 35 mm - Couleur
Le Volcan interdit est le second et dernier long métrage d'Haroun Tazieff (Garouk pour les intimes), réalisé 7 ans après Les rendez-vous du diable (1959), également sur les volcans congolais Kituro et Niragongo qu'il étudia en 1948 pour le compte de l'État belge.
À travers le préambule du Volcan interdit, Tazieff livre, en quelques minutes, l'historique de la genèse du film.
"Ils nous disaient "Apanakuenta!"1, ce qui, comme chacun sait, signifie en kisraeli2 "N'y allez pas!" On aurait dit un slogan. Depuis quelques temps, nous n'entendions plus que cela: n'y allez pas! Cet endroit, où apparemment personne ne voulait nous voir aller, c'était le Niragongo, volcan encore inexploré d'un Congo encore belge. 3'500 mètres d'altitude, 1° de latitude sud, vue imprenable et promesse de grandes joies volcanologiques. Ce qui explique pourquoi, à l'aube du 22 juillet 1958, dans cette brume de l'équateur qui est la version tropicale d'un matin en Sologne, toute l'équipe des volcanologues était sur le sentier de la découverte.
Un volcanologue est quelqu'un qui va voir de près comment fonctionne les volcans, même et surtout quand on lui dit de ne pas y aller. Non que les gens qui voulussent nous empêcher d'y aller n'eussent de bonnes raisons pour cela. Elles étaient même d'une belle diversité. Pour les porteurs africains, le Niragongo était le séjour des âmes des morts. Il fallait nous en protéger. Pour le président des parcs nationaux, le Niragongo était le symbole de la puissance des présidents. Il fallait nous en accabler. Cela pouvait durer longtemps. En fait, cela avait duré 10 ans. Et lorsqu'enfin nous nous sommes retrouvés en marche, toutes barrières abattues en direction du cratère, nous nous sommes sentis invulnérables. Si nous avions vaincu les démons de la bureaucratie, ceux du volcan n'avaient qu'à bien se tenir.
Dix ans plutôt, en 1948, nous avions atteint pour la première fois le bord du cratère. C'était la limite de toutes les explorations précédentes. La première remontait à 1894 et depuis 50 ans, la vague de la curiosité humaine se brisait là, au sommet de cette muraille de 200 mètres que des nuages de gaz sulfureux ne rendaient toujours pas plus attrayante. En fait, cette parois n'était nullement insurmontable. Jusqu'alors, les alpinistes qui auraient pu la vaincre se méfiait des gaz et du volcan, et les chimistes, qui savaient en quelle condition de concentration les gaz volcaniques deviennent dangereux, n'étaient généralement pas là pour en juger. D'où l'utilité de cet amphibie, le volcanologue, qui entre autres choses représente la variété grimpeuse du chimiste et du physicien.
Notre récompense nous attendait au terme de la descente. L'intérieur du Niragongo se compose de trois puits emboîtés l'un dans l'autre: muraille, terrasse, muraille, terrasse, puits central. Personne ne savait ce qui se passait dans le puits central depuis ce jour de 1928 où les nuages au-dessus du volcan s'étaient mis à rougeoyer et n'avaient plus cessé de rougeoyer. C'est en prenant pied sur la première terrasse, et en nous penchant au bord de la seconde muraille, un a-pic de 180 mètres, que nous avons découvert un phénomène unique au monde: un lac de lave en fusion. Une activité volcanique permanente et accessible, c'est le rêve du volcanologue. Du rêve à la réalité, il n'y avait qu'un pas, mais c'était un pas de 10 ans, pendant lesquels toutes ces barrières accumulées allaient faire du Niragongo, le volcan interdit."
Le film se poursuit par une description des différents types de volcan, tout en donnant, avec beaucoup d'humour, plusieurs autres définitions du volcanologue. Dans la dernière partie, le spectateur assiste enfin, les yeux émerveillés, à la descente vers le cratère du Niragongo où prouesses technologiques se mêlent aux prises de risques de ces explorateurs de l'impossible, offrant une émotion réelle encore perceptible plus de 40 ans plus tard.
C'est surtout grâce au commentaire écrit par Chris Marker, plein de délicieuse ironie et d'un humour caustique, tel qu'on avait pu les découvrir dans ses tous premiers films Dimanche à Pékin (1956) ou Lettre de Sibérie (1958), que Le volcan interdit s'offre comme un moment divertissant tout autant que pédagogique. Car, sur le modèle des films du commandant Jacques-Yves Cousteau, avec lequel Haroun Tazieff collabora à plusieurs reprises dès 1951, Le volcan interdit est avant tout un film de vulgarisation, basé sur une aventure scientifique des plus sérieuses.
La volcanologie a certes, depuis, beaucoup progressé. L'étude des gaz n'est plus au centre des recherches. Malgré tout, le film de Tazieff garde toute sa fraîcheur première et s'avère un document idéale pour les jeunes générations.
Haroun Tazieff a donné plusieurs interviews à l'occasion de la sortie du film, dont une à la Télévision suisse romande le 9 juillet 1966 et une autre le 6 mai 1966, date à laquelle l'équipe de "Cinq colonnes à la Une" prit prétexte de la sortie du Volcan interdit, pour se rendre sur l'Etna alors en éruption3.
En 1975, après une nouvelle expédition réalisée trois ans plus tôt, Tazieff publiera Niragongo ou le volcan interdit aux éditions Flammarion (traduction en 1979, en anglais sous le titre Nyiragongo the forbidden volcano et en espagnol, Volcán Miragongo: la prohibida), dans lequel il racontera cette aventure et ses conséquences. Cet ouvrage fait d'ailleurs suite à un précédent livre, intitulé Histoires de volcans, publié en 1967, dans lequel Tazieff relate les différentes expéditions des débuts à celles de 1958-1959.
Au final, Le volcan interdit sera nominé aux Oscars (39e cérémonies d'avril 1967) dans la catégorie documentaire, sans pour autant remporter le prix qui est attribué à The war game de Peter Watkins.
En 1979, un tremblement sismique modifia le cratère, diminuant considérablement le lac de lave. Aussi en juin 2010, une équipe de scientifiques entrepris de redescendre dans le volcan pour se rendre au plus proche du nouveau lac, tout ça en hommage à Tazieff dont le film The devil's blast, soit Les rendez-vous du diable, les avaient marqué enfants.
À noter qu'à la suite du décès d'Haroun Tazieff survenue en février 1998, son fils, Frédéric Lavachery, a créé, en juillet 2008, le Centre Haroun Tazieff pour les sciences de la Terre, en collaboration avec les amis de Garouk, afin de perpétuer l'héritage du volcanologue. Peut-être un jour réussiront-ils a offrir au public un DVD - Blu-ray du Volcan interdit!
Enfin, notons l'existence d'un dossier de presse en japonais.
Générique: (début, dans l'ordre d'apparition)
Le volcan interdit
Un film de Haroun Tazieff
Avec la participation plus ou moins aimable de Niragongo (Congo), Etna et Stromboli (Sicile), Kilauea (Hawaii), Irazu (Costa-Rica) et Calbuco (Chili), Capelinhos (Açores) et Surtsey (Islande), Krakatao, Merapi et Idjen (Indonésie), Sakura-Jima et Osore-San (Japon), Kitsimanyi (Congo), Fuji-Yama, Aso-San et Asama-Yama (Japon), Mayon (Philippines), Batur, Agung, Raung et Sumbing (Indonésie), Llaima (Chili), Katmai, Martin et Trident (Alaska), Kilimandjaro (Tanganyika), Wobu et Soborom (Tibesti / Tchad), Namafjall (Islande), Vulcano et Vésuve (Italie).
Images de Pierre Bichet, Fred Rackle, Haroun Tazieff et de Vincenzo Barbagallo, Jean-Louis Cheminée, Robert W. Decker, Alain Lartigue, Chris Marker, Jimbo Ikeda, [Koichi Yamada, aussi d'après Ciné-Ressources]
Commentaire de Chris Marker
Dit par Pierre Vaneck
réalisation sonore: Michel Fano, assisté de Jacqueline Lecompte
mixage: Jacques Maumont
montage: Renée Lichtig
assistante: Françoise London
Fragment musical extrait de la Suite scythe de Serge Prokofiev
Orchestre symphonique de Londres
Direction Antal Doraty
Disque Mercury
production: Ciné-Documents-Tazieff
laboratoires: Éclair
enregistrement: S.I.S.
optique: Som-Berthiot
générique: CTR
disques: Philips
visa de contrôle cinématographique n° 30.787
Beaucoup d'images de ce film ont été tournées au cours de missions scientifiques faites sous les auspices du Centre national belge de volcanologie ou de l'U.N.E.S.C.O.
Distribution: Gaumont (ayants-droits héritiers Tazief)
Commentaire / scénario: non édité
Notes
1 Ce mot est écrit sans certitude d'après l'aspect phonétique de la voix off.
2 Ce mot est écrit sans certitude d'après l'aspect phonétique de la voix off.
3 À noter que Tazieff qualifia également l'Etna de "volcan interdit".
Bibliographie
- (FR) Jacqueline LAJEUNESSE, "Le volcan interdit", Image et son: saison cinématographique 1966, n° n/a (09/1966), p. 198
- (FR) anonyme, "Le volcan interdit de Haroun Tazieff, vendredi 30 septembre", Le nouvelliste du Rhône (CH), n° 224 (29/09/1966), p. 6 (web)
- (FR) anonyme, "Festival du Comptoir: Le volcan interdit en première suisse ce soir vendredi à l'Étoile", Le confédéré (CH), n° 112 (30/09/1966), p. 2 (web)
- (FR) Hubert ARNAULT, "Le volcan interdit", Image et son, n° 199 (11/1966), p. 116-117
- (FR) anonyme, "Le guide du spectateur", Cinéma 66, n° 110 (11/1966), p. 126
- (FR) Michel DUVIGNEAU, "Volan interdit", Téléciné, n° 131 (12/1966), p. 51
- (DE) anonyme, "Le volcan interdit. Letzte Rätsel dieser Welt. Im Cinébref", Die Tat, n° 235 (06/10/1967), p. 7 (web)
- (FR) Yves BRUTTIN, "Le volcan interdit", Image et son, n° 352 (08/1980), p. 171-174
Kashima Paradise / Yann Le Masson et Benie Deswarte
1973 - France - 110'1 - 16 mm gonflé en 35mm - N&B
Kashima Paradise est un film militant, engagé, un film de propagande même, probablement parmi les plus importants, les plus essentiels pour comprendre la lutte des classes, les mouvements de contestation des années 70. Yann Le Masson et Bénie Deswarte ne s'en cachent pas. Dans le dossier de presse du film, ils le clament haut et fort.
"Si on essaie de définir le type de film auquel appartient Kashima Paradise, premièrement c'est un documentaire, mais c'est un documentaire dans lequel on ne se contente pas de laisser aux gens, aux évènements, la parole, mais on jette nous-même un regard crititque, et on l'interprète selon une certaine analyse, autrement dit on ne cherche pas à être objectif, on cherche à être politique. [...] Je suis d'accord pour faire la différence avec, si tu veux, ce qu'on appelle le cinéma vérité, le caractère "objectif" de la caméra en cinéma direct, du témoignage, qui consisterait à faire croire que celui qui se trouve derrière la caméra, l'équipe qui se trouve derrière la caméra, se contente avec des yeux candides et le coeur pur, à filmer une "réalité" qui est suffisante par elle-même, à être montrée sur l'écran, or nous, nous pensons..."2
La génèse du film, Yann Le Masson, l'a racontée dans un hommage généreux et plein de tendresse, écrit en l'honneur de son ancienne compagne, Bénie Deswarte. Publié dans le livret du coffret dvd des Éditions Montparnasse, nous ne saurions faire autrement que de la transcrire en entier, tant tout y est essentiel.
"J'ai fait la rencontre de Bénie Deswarte en avril 1966. Assise au Café de Flore, elle attendait qu'on ose l'aborder. Elle avait tout juste vingt-deux ans, d'une beauté rare. J'ai osé et nous avons eu une courte relation amoureuse à laquelle elle mit fin parce qu'elle refusait de trop s'attacher. J'avais trente-six ans. Nous nous sommes retrouvés deux ans plus tard tout à fait par hasard, rue de Buci, au cours des évènements de Mai 68 que je filmais pour le Parti communiste, mais aussi pour des organisations d'extrême gauche, comme la Gauche prolétarienne.
Le 1er janvier 1970, j'ai pris l'avion pour Tokyo afin de rejoindre cette étudiante en sociologie, diplômée de japonais, devenue entre-temps ma compagne. Inscrite dans la plus prestigieuse faculté, l'Université Todaï, elle y préparait une thèse de troisième cycle [intitulée "Société rurale et industrialisation rapide dans un pays capitaliste avancé", n.d.l.r.]. Grâce à sa petite bourse d'étudiante, nous avons vécu deux années japonaises où, en collaboration étroite et vie commune, nous avons réalisé Kashima Paradise, moi à l'image, elle à la prise de son, technique à laquelle je l'avais initiée comme elle-même m'avait initié à la langue japonaise.
Je venais de terminer deux tournages, l'un comme directeur de la photographie, l'autre comme caméraman, et mes salaires m'avaient permis d'acheter d'occasion une caméra Eclair 16 mm munie de son zoom "Angénieux", un magnétophone "Stellavox", plus léger pour Bénie qu'un Nagra IV, ainsi qu'un aller-retour Paris-Tokyo. Sur place, avec le solde, je me suis procuré de la pellicule noir et blanc "Kodak" et "Fuji", plus économique que la couleur.
Dans le Japon misogyne, on fait presque toujours suivre le prénom des femmes du suffixe Ko, signifiant "bébé" ou "petit enfant". Bénie, personne ne l'appelait jamais Bénie-Ko, mais au contraire Senseï, "Maître", ou même Bénie-San, "Monsieur Bénie". Quant à moi, j'étais aux yeux des Japonais, le compagnon de la Senseï, du Maître, son compatriote dévoué, malgré la prédominance du masculin dans ce pays. Bénie vivait cette inversion avec jubilation.
Il est possible qu'une amorce psychologique de rupture se soit produite après notre retour en France, fin 1971, où elle dut vivre le contraire de ce qu'elle aimait au Japon. J'étais redevenu "le" cinéaste professionnel connu et renommé, avec son aura de directeur de la photographie et de réalisateur de documentaire politiques, et le "Milieu du cinéma" ne voyait en elle que ma "petite amie", ne retenant que le nom de mon ex-femme, Olga Poliakoff, réalisatrice à la télévision.
Le montage de Kashima s'est terminé fin 1972. Des conflits ont alors surgi entre Bénie et moi à propos de mon engagement au Parti communiste, du contenu marxiste du film et du peu de rôle que je lui accordais en salle de montage où elle se sentait infériorisée devant mes deux monteuses professionnelles, Isabelle Rathery et Sarah Taouss, avec qui je discutais de ma conception de la réalisation d'un documentaire à partir d'une masse de documents filmés sur le vif, sans scénario ni découpage pré-établi. Nous nous sommes quittés en juin 1973, après cinq années d'une intense vie commune, d'amour, de travail créatif, de désaccords idéologiques, de disputes sévères, de collaborations passionnantes et d'estimes réciproques: de vrais et précieux rapports homme-femme.
Ce qui me reste en mémoire de meilleur, ce sont les conditions de notre vie commune au village de Takei, dans la petite ferme louée symboliquement à la famille paysanne Mogi, après que Yamaguchi-san, véritable ancien Seigneur de la région, nous ait recommandé auprès des autorités et des habitants, qui nous adoptèrent par sentiment d'obligation à son égard. Dans cette petite ferme au toit de chaume, aux murs en papier coulissants, ouverts sur les rizières, et au sol en tatamis de paille de riz tressée sur lequel nous marchions pieds nus, nous pouvions nous reposer des tumultes du tournage ou travailler la nuit, chacun dans son domaine: elle, préparant sa thèse, moi visionnant les images tournées, écoutant les sons, concevant le scénario du film à venir.
Les tournages se décidaient en fonction de ce que les villageois venaient nous raconter de l'actualité de la région. Peu à peu, une complicité avait surgit entre nous, grâce surtout aux projections de rushes que j'organisais régulièrement. Ils y venaient nombreux, les yeux écarquillés, pour comprendre pourquoi je les filmais et pourquoi Bénie enregistrait leurs paroles. Par la suite, beaucoup vinrent d'autres villages, alentours ou lointains, pour nous tenir au courant des évènements sociaux, des travaux des champs, des fêtes du toit, des constructions de maisons, des mariages, des enterrements. Ainsi, est-ce à la suite de visites de paysans du village de Sanrizuka et de contacts avec des étudiants marxistes-léninistes de Tokyo que nous avons décidé de nous installer pour quelques semaines en bordure du chantier de construction du futur aéroport de Narita, chez des paysans en lutte contre la réquisition de leurs terres.
Après notre rupture, Bénie est partie vivre au Québec, s'est mariée, a fait l'enfant qu'elle souhaitait avoir et que je lui avais refusé. Elle est morte le 11 janvier 2004, jeune encore, d'un cancer du sein qu'elle avait refusé de soigner par la médecine classique. J'estime qu'à bien y réfléchir, Bénie est restée fidèle à sa pureté mystique, celle-là même qui, à nos débuts, loin de mon communisme, l'avait portée à l'extrême-gauche."3
Un témoignage écrit quelque mois avant disparition de Yann Le Masson, survenue le 20 janvier 2012, souvenir vivace d'une période furtive mais riche.
C'est encore dans le livret du coffret dvd, fidèle à la qualité éditoriale des Éditions Montparnasse, que l'on apprend comment Chris Marker en vint à participer au film. Patrick Leboutte explique qu'en "1972, Yann Le Masson soumet à Chris Marker un montage quasi définitif de Kashima Paradise. Le Japon, le communisme, l'amour des chats: nombre d'éléments rapprochent en effet les deux hommes. Intéressé, Marker lui propose de réécrire lui-même le commentaire. Le texte est dit par Georges Rouquier [dont Le Masson appréciait la chaleur de la voix] et Jaqueline Taouss, soeur de sa monteuse."4
Chris Marker rédige également un texte pour le dossier de presse dans lequel il décrit Kashima Paradise, comme:
"le film des cloisons abattues, où la beauté exceptionnelle de l'image, la rigueur de la méthode, la connaissance des forces en jeu, économiques et politiques, l'intimité réelle avec les hommes, s'étayent mutuellement, où la sensibilité de l'image préserve l'intelligence d'être froide, où l'acuité de l'analyse protège le spectacle de son propre enchantement - l'éblouissement visuel de certains moments, l'enterrement du militant avec ses hélicoptères felliniens, la bataille de Narita avec ces C.R.S. teutoniques, venant baigner tout cela de la seule beauté véritable, celle qui est donnée par surcroît lorsque, sur une entreprise des hommes qui est d'abord une recherche de vérité, elle vient signifier l'approbation des lieux. On sait que le symbole des privilèges magiques du cinéma est souvent "la fleur tournée en accéléré", cette intrusion d'un autre temps dans le temps familier. Voici peut-être le premier film où l'histoire est filmée comme une fleur."5
Cependant, Le Masson et Deswarte voit dans cette entreprise à deux un manque, une faille vis-à-vis de la qualité.
"Pour Kashima Paradise, expliquent-ils, nous étions complètement isolés. C'est une idée qui a vraiment surgi au niveau de deux personnes, et le film s'en ressent, la faiblesse du film, je crois qu'elle est due au fait qu'on l'a fait à deux, ce film. Si nous avions pu le faire à plusieurs, en équipe, avec tout ce que ça entraîne comme travail collectif, comme critiques, comme approfondissement des choses, eh bien ce film aurait été beaucoup plus juste, beaucoup plus correct, du point de vue de son analyse. Surtout moins partiel; on serait arrivé, je pense, à quelque chose de plus global... c'est ce qui manque..."6
Quoiqu'il en soit, à sa sortie, le film reçoit un accueil positif. Il est non seulement sélectionné à la "Semaine de la critique internationale" du Festival de Cannes 1973, mais est également nominé aux Oscars 1974, dans la catégorie "meilleur documentaire".
Cette réception, Jon Halliday, la traduit en ces termes:
"Bien des films sur le Japon sont difficiles à suivre - parfois pour des problèmes de langage ou parce que leurs auteurs supposent une connaissance énorme de la situation de la part du spectateur. Kashima Paradise fait preuve d'une clarté exemplaire. D'un bout à l'autre, il révèle à la fois une profonde connaissance de la société japonaise et de la sympathie pour le peuple japonais. En faisant ressortir les traits essentiels de ce qui arrive au Japon, au pays et à son peuple, il dépeint la société mieux que tout autre film que j'ai jamais vu. Lorsque les puissants bulldozers de Mitsubishi et de Sumitomo balaient ce terrain vague qui fut un jour une communauté paysanne, ce n'est pas seulement tout un mode de vie qui est détruit devant nos yeux, mais peut-être la vie elle-même."7
Notons encore l'existence du Fonds Yann Le Masson, conservé à la Cinémathèque de Toulouse, qui regroupent un certain nombre de documents essentiels à la réalisation du film sous la cote F18-3.4: travail de recherche préparatoire, courriers, périodiques, synopsis, production, tournage, journal de bord intitulé Mégalopolis (04-07/03/1970), dérushage, time code, commentaire de Marker, partition de Hiroshi Hara, sous-titrage FR et GB, distribution, participations aux festivals, promotion, critiques et coupures de presse etc.
Enfin, notons l'existence d'un film d'agit-prop collectif sur la bataille de Narita, intitulé Narita ou la printemps de la grande offensive, distribué par ISRKA. Sans oublier de rapprocher ces deux films de ceux du cinéaste japonsai Shinsuke Ogawa (1936-1992) et le collectif qui se rattache à lui.
Générique (fin, dans l'ordre d'apparition / reconstitution postérieure)
montage: Isabelle Rathery, Sarah Matton
montage version télévision: Aline Boi
image: Yann Le Masson
son: Benie Deswarte
Commentaire de Chris Marker, dit par Jacqueline Taouss
mixage: Paul Bertault
Musique de Hiroshi Hara
Avec la participation du Centre national de la cinématographie
réalisation: Yann Le Masson et Bénie Deswarte
[adaptation: Delphine Gesland / dvd éd. Montparnasse]
[sous-titrage: C.M.C.]
visa d'exploitation n° 39.908
Prix Georges Sadoul - 1973
Distribution: non distribué (contacter Cathy Aubry)
Commentaire / scénario: non édité
[Tout prochainement ?]
Notes
1 Le dossier de presse donne la durée de 110', le dvd des Éditions Montparnasse celle de 106'. On trouve également une durée de 70', probablement pour le montage télévision.
2 Yann Le Masson / Bénie Deswarte, "Kashima Paradise au delà du cinéma direct", dossier de presse, 1975, p. [24].
3 Yann Le Masson, "Bénie Deswarte", livret du coffret DVD Kashima Paradise publié aux Éditions Montparnasse, 2011, p. 19-21.
4 Ibid., p. [17]. Patrick Leboutte a composé le dit livret.
5 Chris Marker, (sans titre), dossier de presse, 1975, p. [5], réédité dans le livret du coffret DVD, 2011, p. 15-17.
6 Yann Le Masson / Bénie Deswarte, "C'est un nouveau type de cinéma qu'il s'agit d'inventer", dossier de presse, 1975, p. [27], tiré d'un entretien de 1975, avec Hubert Niogret, pour la revue Positif, et réédité dans le livret du coffret DVD, 2011, p. 23-26.
7 Jon Halliday, "Kashima Paradise", dossier de presse, 1975, p. 15, paru initiallement dans The guardian (Londres), du 27 avril 1974.
Bibliographie
- (FR) Marcel MARTIN, "Cannes 1973", Écran, n° 17 (07/1973), p. 47
- (FR) René PREDAL, "Kashima Paradise", Jeune cinéma, n° 72 (07/1973), p. 17
- (FR) Jean-Paul TÖRÖK, "Cannes 1973: la semaine de la critique", Positif, n° 154 (09/1973), p. 71
- (FR) François CHEVASSU, "Kashima Paradise", Image et son: saison cinématographique 1973, n° n/a (10/1973), p. 219
- (FR) Louis MARCORELLES, "Kashima Paradise de Yann Le Masson et Bénie Deswarte", Le monde, n° n/a (08/10/1974), p. n/a (web)
- (FR) Mireille AMIEL, "Kashima Paradise", Cinéma 74, n° 192 (11/1974), p. 111
- (FR) Guy BRAUCOURT, "Kashima Paradise", Écran, n° 30 (11/1974), p. 73-74
- (FR) "Propos de Chris Marker" (extrait du dossier de presse), Écran, n° 30 (11/1974), p. 74-75
- (FR) Max TESSIER, "Made in Japan", Écran, n° 30 (11/1974), p. 75
- (FR) Gilles COLPART, "Kashima Paradise", Jeune cinéma, n° 82 (11/1974), p. 47
- (FR) Guy GAUTHIER, "Kashima Paradise", Image et son: saison cinématographique 1974, n° 291 (12/1974), p. 94-95
- (FR) Robert GRÉLIER, "Entretien Bénie Deswarte / Yann Le Masson, au sujet de Kashima Paradise", Image et son: saison cinématographique 1975, n° 292 (01/1975), p. 7-9
- (FR) Hubert NIOGRET, "Kashima Paradise: entretien avec Bénie Deswarte et Yann Le Masson", Positif, n° 165 (01/1975), p. 13-21
- (FR) anonyme, "Documentaire: Kashima Paradise", La liberté (CH), n° 153 (01/04/1977), p. 2 (web)
- (FR) Max TESSIER (dir.), Le cinéma japonais au présent, Paris: Éd. P. Lherminier, 1984, 220 p.
- (GB) Paul Douglas GRANT, "Kharon at his oar: an interview with Yann Le Masson", lafuriaumana.it, 13/04/2010, en ligne (web)
- (FR) Benjamin GENISSEL, "L'air du temps: réflexions autour de Kashima paradise (Bénédicte Deswarte, Yann Le Masson)", Le blog documentaire, 08/03/2011, en ligne (web)
- (FR) Victor LOPEZ, "Kashima Paradise - le cinéma de Yann Le Masson (DVD)", East Asia, 03/05/2011, en ligne (web)
- (FR) Jacques KERMABON, "Kashima Paradise (DVD)", Bref, n° 98 (07/2011), p. 20
- (FR) anonyme, "Kashima Paradise (dvd)", Jeune cinéma, n° 338-339 (07/2011), p. 66
La spirale / Armand Mattelart, Jacqueline Meppiel, Valérie Mayoux
1975 - France - 155' - 35 mm - Couleur
Le 11 septembre 1973, le général Augusto Pinochet, aidé par la CIA, renversa le gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende, qui promulguait pourtant un socialisme "modéré". Pinochet instaura alors une dictature sans merci pour les opposants durant 17 ans, pour laquelle il sera accusé de génocide, terrorisme et tortures, jusqu'à sa mort qui lui évitera finalement une condamnation. Le fait qu'il ait renversé par la violence un régime démocratique a fait de lui un symbole des dictatures d'Amérique du Sud.
La spirale est un film qui entend expliquer méthodiquement et avec la plus grande clarté, en prenant TOUS les acteurs en action, les raisons qui ont amené au coup d'État. Ce qu'il réussit à merveille.
Valérie Mayoux, monteuse attitrée de Chris Marker, participa à ce film en tant que co-réalisatrice avec Armand Mattelard et Jacqueline Meppiel. Dans le cadre d'un dossier sur Chris Marker proposé par la revue Positif, elle expliqua la genèse du film et l'implication de Marker dans ce projet.
"Il y a eu la première ouverture du Chili aux journalistes occidentaux. Bruno Muel et Théo Robichet sont partis là-bas tourner Septembre chilien que j'ai commencé à monter. Vers le mois de décembre, Armand Mattelart, qui avait été expulsé du Chili, est rentré en France. Chris, qui l'avait rencontré là-bas, a pensé qu'on devait faire un film à partir de son expérience et de son analyse de sociologie. C'est Jacqueline Meppiel qui a pris le projet en charge, et elle m'a demandé de l'aider. On s'est donc mis à trois pour élaborer un scénario en bonne et due forme, à déposer au CNC pour avance sur recettes: on est arrivé à sept parties thématiques, organisées en spirale autour d'un noyau, et allant chercher tout ce qui s'y rapportait, les cause, les effets, etc.
Une des raisons d'être du film, c'était la quantité exceptionnelle de matériels qui existait au Chili, puisque pendant trois ans tout le monde était allé tourner là-bas: les télévisions américaines, les équipes de cinéma de gauche, américaines mais aussi européennes… Il fallait rassembler les documents. Nous sommes allés un peu partout. Je me souviens d'une journée extraordinaire, à la Film Library de New York. J'ai visionné les bobines sur un matériel d'une vétusté comme on n'imagine pas en voir là-bas: une petite manivelle à main, et je regardais la pellicule en tournant la tête à 45°! Tout ce qu'on avait espérer trouver sans y croire était là! C'était comme si je voyais le film se dérouler sous mes yeux. Jacqueline de son côté a récupéré beaucoup de choses, à La Havanne entre autres. On a tout rassemblé, tout fiché, et à partir de là, il était possible de se répartir des séquences. On s'était fixé une durée limitée car on voulait que ce soit un film grand public, gonflé en 35 mm. On faisait des projections hebdomadaires avec Jacques Perrin, producteur du film: il était formidable parce qu'il regardait de façon très attentive et pertinente, et nous faisait des remarques dont on tenait compte. Tout a été relativement vite et à la fin de l'été 1974, le montage était pratiquement fini.
Ensuite est venu le problème d'écriture du commentaire. C'était difficile d'écrire à trois, et Jacqueline a appelé Chris à la rescousse. Mattelart lui a remis un dossier préparatoire, qui, à la lecture, devait faire une dizaine d'heures! Chris a commencé à travailler, pendant que nous mettions la dernière main au montage négatif, et il est revenu avec proposition de commentaire: elle faisait environ 3 heures, alors que nous avions à peu près 1h40 de montage! Nous avions prévu un tournage additionnel, celui des liaisons avec les figurines de Folon, la séquence de la bourse des denrées - que Chris avait tournée à Londres, pour l'histoire de la manipulation des cours du cuivre destinée à déstabiliser l'économie chilienne. Mais ça ne suffisait pas. On s'est remis au montage et c'était très dur, parce qu'on n'avait plus de support au commentaire de Chris qui a du coup provoqué un réel changement: il fallait rajouter des séquences sur certaines parties du commentaire, et sur d'autres celui-ci ne collait pas. Avec lui, le film est devenu plus subtil. Jacqueline et moi étions un peu perplexes, dans la mesure où notre idée (peut-être celle de Mattelart aussi, moins de Chris, qui n'envisage pas les choses sous cet angle-là) était de faire réfléchir le grand public sur l'idée maîtresse de Mattelart, à savoir que la lutte des classes n'est pas exclusivement le fait des exploités, mais aussi de ceux qui exploitent, et qui défendent leur position. Il nous apparaissait donc important de ne pas ajouter trop d'informations que nous ne jugions pas prioritaires, et la langue sophistiquée - et très belle - de Chris a entraîné de grandes discussions entre nous quatre.
La subtilité du commentaire m'a d'ailleurs posé d'autres problèmes quand il a fallu faire une version anglaise. Peut-être les Américains ne pratiquent-ils pas l'ironie - dans le documentaire historique du moins! - en tout cas le second degré si familier à Chris se retrouvait pris au premier degré dans la traduction américaine, ce qui donnait des choses extrêmement surprenantes! Finalement je l'ai à moitié refaite, et c'était effectivement très difficile à traduire."1
Armand Mattelard, qui a vécu au Chili de 1962 à 1973, a également donné, en compagnie de sa femme Michèle, un entretien au sujet de La spirale, pour Cultures et Conflits2 (en espagnol, ici), consultable sur le web. Il confirme que Chris Marker est à l'origine du projet et qu'il était venu au Chili à l'occasion du tournage du film de Costa-Gavras État de siège, en compagnie du producteur Jacques Perrin. En 1972 donc, lors d'une discussion de ce dernier avec un conseiller d'Allende, Augusto Olivares, celui-ci lui dit "Puisque tu es producteur, est-ce que tu pourrais faire un film sur le Chili? Surtout s'il arrive quelque chose." Perrin lui promis de faire quelque chose, tout en restant vague. Au retour de Mattelard en France, il rencontre Marker, qui connaissant la promesse de Perrin, l'enjoint à faire le film. Marker présenta alors à Mattelard les deux monteuses qu'il connaissait bien, Valérie Mayoux et Jacqueline Meppiel. Et l'aventure pu commencer.
Le film est projeté pour la première fois en France en avril 1976, ainsi qu'en Belgique, en Suisse et au Québec. Il fut projeté également en mai au Festival de Cannes dans la section "Perspectives". Le Canada a acheté les droits de doublage en langue anglaise. De nombreuses télévisions européennes l'ont diffusé "aux Portugal, en Italie, en Suède, etc.", alors qu'en France, "Antenne 2 a refusé de le programmer dans Les dossiers de l'écran", raisons invorquées: trop didactique, commentaire parfois elliptique, film démonstratif et partisan, absence de la situation sous le "gouvernement" Pinochet pour faire contre-poids, public des Dossiers de l'écran pas formaté pour ce genre.
Au Chili, le film est sorti en 2006!
Quoiqu'il en soit La spirale est, avec la trilogie de Patrizio Guzman, La bataille du Chili, un film incontournable pour cette période de l'Histoire, tout à la fois sombre et pleine d'espoir.
À noter qu'en octobre 2011, Chris Marker s'est expliqué sur sa participation à ce film:
"C’est donc la thèse de Mattelart, provocatrice mais féconde, selon laquelle la conscience de classe au Chili était plus développée dans la bourgeoisie que dans la classe ouvrière, qui a été le point de départ de La spirale. Dire que j’en ai été à l’initiative est encore un raccourci fautif. Nous étions tous persuadés à ISKRA qu’un film devait se faire et c’est la rencontre avec un producteur exceptionnel, Jacques Perrin, totalement impliqué dans l’aventure, tout en nous laissant une liberté totale, qui a permis de “cristalliser” le projet. Mattelart n’était pas cinéaste, ce sont deux monteuses, Jacqueline Meppiel et Valérie Mayoux, grandes professionnelles et politiquement motivées, qui ont pris en charge la réalisation. Je ne suis intervenu que plus tard, lorsque devant l’énormité du matériel réuni et la difficulté de faire passer une analyse sociologique dans les codes du spectacle documentaire, elles ont eu besoin d’un “œil neuf”. L’achèvement du film s’est fait dans un travail commun à nous quatre, j’ai signé le commentaire parce qu’il fallait bien une signature, mais il est évident que ce texte repose sur une réflexion collective où chacun a pris sa part, les “techniciennes” n’étant pas les moins compétentes dans le domaine des idées. De la même façon, dans ...à Valparaiso (que vous ne citez pas), “mon” commentaire s’était largement appuyé sur les notes de Joris [Ivens]" (Carolina AMARAL DE AGUIAR, "Chris Marker: un regard sur le Chili", Cinémas d’Amérique latine, n° 21 (2013), p. 17-21).
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
visa de contrôle cinématographique n° 42.802
Les Films Molière présentent
Reggane Films, Seuil Audiovisuel présentent
La spirale
Un film d'Armand Mattelart, Jacqueline Meppiel, Valérie Mayoux
Et Chris Marker [commentaire], François Perier [voix off], Jean-Michel Folon [décor et personnages du jeu], Jean-Claude Eloy [musique]
Silvio Tenoler, Pierre Flament, Luc Perini, Etienne Becker, Antoine Bonfanti, [Jacques Perrin (producteur)]
[Fin]
[sous-titrage espagnol: Ronald Quinteros (version Google Vidéo)]
"Ce film aurait été impossible sans la solidarité de tous ceux qui ont tourné, enregistré, photographié au Chili, qui nous ont permis l'usage de leurs documents, ou nous ont aidés par leurs connaissances et leur travail, particulièrement l'ICAIC, Chile Film, Equipo Tercer Año, groupe Cuando Despierta el Pueblo, Studio H&S, Ceskoslovensky Filmexport, Studio Central des Films Documentaires de Moscou, Gamma, J. Bertolino, Juliette Caputo, J. F. Chevallier, B. Dressler, Solange Elton, Huguette Faget, Med Hondo [voix off], Joris Ivens, F. et C. Jannel, B. et G. Karabuda, Saul Landau, Jan Lindqvist et Maria Cederquist, Michèle Mattelart, Miguel, R. Rossellini, Filmcentrum, Slon-Iskra, Tricontinental Film Center.
Et pour le montage, Pierre Flament, Donna Levy
Musique de J.-C. Eloy, Equivalences (Disques Adès - Direction Pierre Boulez), Faisceaux-Diffractions (ORTF - Amphion), Shanti (WDR), Luc Périni, Groupe Karaxu
Chansons interprétées par Inti-illimani, Victor Jara, Angel Parra, Quilapayun (éditions DICAP)
graphisme: Pierre Faucheux / Dedalus
banc-titre, documents et animations: Séria
cinémathèques: CBS, Sherman Grinberg, Hearst Metrotone News, ONU, ORTF, RTB, Sveriges Radio, Visnews, ZDF
auditorium: SIMO
laboratoires: L.T.C. - Cinétitres
visa de censure n° 42.802
[Subtitulaje producido por el Comité contre la Impunidad y por la democracia en América Latina. CIDAL-Bruselas (version Google Vidéo)]
[traducción: Carlos Martel Terrada, Armand Mattelart]
[Subtítulado por Ronald Quinteros; Regie mobile pour la culture]
Distribution: Galatée Films
Commentaire / scénario: non édité
[Tout prochainement?]
Notes
1 Olivier Khon / Hubert Niogret, "Témoignage de Valérie Mayoux: monteuse", Positif, n° 433 (03/1997), p. 93-95
2 Armand Mattelart / Didier Bigo, "La spirale. Entretien", Cultures & conflits, n° 74 (2009), p. 169-186.
Bibliographie
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- (FR) Robert GRELIER, "La spirale", Image et son, n° 303 (02/1976), p. 91-96
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